NB Ce texte a été publié dans "Sud Quotidien" du 8 mai 2012
Quelle réponse donner aux jeunes Sénégalais, notamment, qui s’étonnent,
voire s’offusquent, de l’engouement de leurs compatriotes plus âgés ou plus
nostalgiques pour les élections françaises ? Que
d’abord nous ne pouvons pas rester indifférents à ce qui se passe en France.
Nous sommes, nolens volens, liés à
elle par des liens anciens et forts, tissés au cours des siècles, marqués
souvent de violence et d’arbitraire, mais qui restent une dominante de
notre vécu national. Nous entretenons avec elle des rapports économiques,
inégalitaires mais très forts, comme l’atteste la présence massive de sociétés
françaises dans notre tissu industriel.
Malgré cinquante ans d’indépendance,
nos élites politiques, nos gouvernants restent incorrigiblement à l’écoute des
avis de l’ancienne puissance coloniale, comme nous le rappelle la visite
précipitée, et diplomatiquement déplacée, de Macky Sall à Paris, quelques
semaines après son élection. Comme si, même si l’examen se faisait au Sénégal,
le diplôme, lui, était toujours délivré à Paris… Nous avons la langue française
en partage, même si elle est au Sénégal dans une décrépitude avancée. Nous
sommes encore, pour tout dire, de culture française, même si aujourd’hui
Rimbaud est quasi inconnu de nos élèves et si le rêve des Sénégalais les porte
plus vers Manhattan que vers Paname. La France n’est plus la première
destination des émigrés sénégalais, mais les sportifs sénégalais sont très
présents sur les pelouses françaises, et il y a plus d’électeurs français
au Sénégal que dans le territoire français de Saint-Pierre-et-Miquelon.
Ceci dit, nous ne faisons pas
d’illusions : le changement de majorité en France ne signifie pas
nécessairement une remise en cause de la politique africaine de la France et
gardons-nous de célébrer la victoire de François Hollande comme la fin de
l’inégalité des termes de l’échange entre son pays et le notre. Mais si nous
nous intéressons aux dernières élections présidentielles françaises, c’est que
surtout, malgré les contextes différents, Wade et Sarkozy cultivaient les mêmes
tares et que d’une certaine manière, le combat mené contre eux, au Sénégal et
en France, est inspiré par les mêmes colères et les mêmes frustrations. Tous
deux étaient des adeptes de l’omni-présidence, méprisant leur entourage,
s’ingérant dans des domaines qui n’étaient pas de leurs compétences. Sarkozy,
héritier de deux siècles de démocratie, n’a pas fait moins que Wade, en
traitant son Premier Ministre de simple «collaborateur», en réunissant son
parti à l’Elysée, en présidant une réunion de mobilisation de fonds pour l’UMP,
en s’octroyant des indemnités trois fois supérieures à celles de ses
prédécesseurs, en nommant des hommes de son choix dans des institutions
de régulation.
Mutatis mutandis, Nadine Morano et les derniers collaborateurs de Wade tiennent les mêmes
discours, usent des mêmes brosses à faire reluire leurs héros respectifs. Si
l’on tient compte du passé de la France, c’est une grande tristesse. La seule différence,
cette fois à l’avantage de Sarkozy, c’est que celui-ci, après sa défaite, a
préféré se retirer des combines électorales, ce qui a sauvé (provisoirement ?)
son parti de l’éclatement et, qu’au contraire, Wade a brisé le sien en voulant
continuer à en tirer les ficelles.
Cette omni-présidence, partagée par
les deux hommes, s’accompagnait évidemment d’arrogance vis-à-vis de leurs
collègues chefs d’Etats et de mépris à l’endroit de leurs rivaux politiques.
Sarkozy pensait pouvoir faire une bouchée de Hollande, qui pour lui n’était que
le candidat par défaut du PS, Wade n’a jamais pris au sérieux la candidature de
Macky Sall, qu’il considérait comme sa créature. C’est cet excès de suffisance
qui les a perdus. Tous deux, enfin, croyaient que leur engagement, leur
agitation plutôt, suffisait à combler leurs lacunes : Sarkozy se prenait comme
le leader du monde, le grand Manitou du G20, et Wade était convaincu qu’il
pouvait installer le Sénégal comme membre permanent du Conseil de Sécurité,
entre autres illusions. Ils avaient annoncé que leurs défaites seraient
immédiatement suivies de catastrophes : il n’y a pourtant pas eu
d’effondrement de la bourse après la victoire de F. Hollande et, après celle de
M. Sall, au Sénégal, les salaires sont payés et les bailleurs de fonds n’ont pas
pris la poudre d’escampette…
Longtemps les deux présidents ont
fait illusion en faisant croire que leur opportunisme était surtout la manifestation
de la realpolitik dont ils faisaient montre. Ainsi tous deux
ont accueilli Kadhafi en grande pompe, avant de le jeter aux orties avec la
même mauvaise foi. Sarkozy l’a laissé installer sa tente à quelques pas de
l’Elysée, a rabroué sa ministre des droits de l’homme, et fait croire que le
Guide libyen était sur le point d’effectuer un virage irréversible vers la
démocratie, se proposant même de lui vendre une centrale nucléaire. Wade a reçu
le même hôte, le saluant comme le seul vrai militant de l’unité africaine. Puis
tous deux ont fait du zèle, le premier en menant la croisade contre celui qu’il
qualifiait désormais de dictateur et de criminel, quitte à laisser la Libye exsangue,
le second en défiant l’Union Africaine, pour prôner la violence à la place de
la négociation et vanter à Benghazi les thèses défendues par l’Occident.
C’est une convergence de plus entre
l’auteur irrespectueux du discours de Dakar et son hôte complaisant, puisque
Wade, réputé ne pas avoir sa langue dans sa poche, n’a jamais répliqué à cette
insulte. Mais le combat contre Wade et Sarkozy, c’est aussi le combat contre la
division et pour le rassemblement de toutes les composantes de la nation.
Quelle régression pour la France de Jean Monnet quand le Président de la
République, candidat à sa succession, bâtit sa campagne électorale sur la
stigmatisation de l’étranger et le retour aux frontières ! Alors qu’elle a été
l’initiatrice et la cheville ouvrière de l’union européenne et que, comme par
hasard, les animateurs de la campagne électorale portent des noms aussi peu
gaulois que Kosciusko, Yade, Moscovici, ou… Sarkozy. Les vainqueurs des
élections française et sénégalaise ont en commun le même slogan, le
rassemblement, et il est significatif que leurs adversaires du second tour
n’aient reçu aucun soutien des huit et douze, respectivement, candidats
éliminés au premier tour.
Les deux anciens présidents ont, à
des degrés variables, tenté d’opposer leurs concitoyens entre eux. Wade avait
cru nécessaire de distinguer les Mourides, qui seuls méritent des égards, des
autres Sénégalais. Il avait sorti de sa poche cette immonde suspicion de
vote ethnique et menacé de sanctions une partie du territoire national. Sarkozy
a encore fait pire en pêchant dans les eaux troubles du Front National.
Pêle-mêle, la burka, le hallal, les magistrats, les syndicats, les banlieues,
les jeunes ont été érigés en fléaux de la nation, et la reconnaissance du
droit de vote des étrangers, aux élections locales, assimilée à une forfaiture.
Lorsqu’on est fils d’immigré (ce qui est pourtant le cas de Sarkozy), qu’on est
musulman et qu’on habite le 93, on est nécessairement un parasite, un ennemi de
la France, on est la cause de la crise et on porte sur le front le refus
de l’intégration. Place de la Bastille, dimanche soir, les drapeaux français
étaient mêlés aux drapeaux de plusieurs nations d’Afrique et d’Europe
pour signifier que la France se devait d’assumer son histoire et sa vocation.
Les derniers mois ont été meurtriers pour les hommes providentiels. Même s’il n’y a aucune commune mesure entre Sarkozy et Ben Ali, on ne peut que se féliciter de l’arrivée au pouvoir de présidents « normaux », ni falots ni inexistants, mais qui assument leurs limites, qui prônent une « présidence modeste pour celui qui l’exerce et ambitieuse pour son pays », selon les mots mêmes de François Hollande. Nous nous devons d’être solidaires des Français, comme nous l’avons été des Tunisiens et des Egyptiens. S’il faut donc répondre aux interrogations des jeunes Sénégalais qui prêchent pour le rapatriement de notre dignité, il faudrait leur dire que le monde est devenu un village planétaire, et que rien de ce qui s’y passe ne doit nous être indifférent, surtout quand le cœur et la raison sont de connivence.
Les derniers mois ont été meurtriers pour les hommes providentiels. Même s’il n’y a aucune commune mesure entre Sarkozy et Ben Ali, on ne peut que se féliciter de l’arrivée au pouvoir de présidents « normaux », ni falots ni inexistants, mais qui assument leurs limites, qui prônent une « présidence modeste pour celui qui l’exerce et ambitieuse pour son pays », selon les mots mêmes de François Hollande. Nous nous devons d’être solidaires des Français, comme nous l’avons été des Tunisiens et des Egyptiens. S’il faut donc répondre aux interrogations des jeunes Sénégalais qui prêchent pour le rapatriement de notre dignité, il faudrait leur dire que le monde est devenu un village planétaire, et que rien de ce qui s’y passe ne doit nous être indifférent, surtout quand le cœur et la raison sont de connivence.
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