Le Samedi 26 avril, le Centre de
recherche ouest africain (CROA/WARC - a Dakar) a abrité une cérémonie dédiée au Professeur Amadou Makhtar Mbow (ancien DG de l'UNESCO, ancien ministre de l'éducation du Sénégal), à l'occasion de la ré-édition (par l'Harmattan) de deux de ses ouvrages : "Un monde en devenir : réflexions sur le nouvel ordre économique international" et "Aux sources du futur : la problématique mondiale et les missions de l'Unesco".
J'étais chargé de faire la présentation du premier ouvrage, et ci-joint le texte de mon allocution.
J'étais chargé de faire la présentation du premier ouvrage, et ci-joint le texte de mon allocution.
L’exercice auquel vous êtes conviés aujourd’hui
- la présentation d’un ouvrage - commence habituellement par la présentation de
l’auteur du livre. Mais, pour le cas qui nous concerne ici, l’auteur est si
illustre qu’il faudrait probablement
présenter plutôt le présentateur audacieux que je suis. Amadou Mahtar n’est pas
seulement un homme connu, il a aussi été récemment et bien involontairement,
mis au devant de la scène, il a bénéficié d’une publicité qu’il n’a pas payée
et dont il se serait passé lorsqu’il a
été présenté, dans la clameur d’une campagne électorale, comme étant en quelque sorte le fils aîné du
Sénégal .Ce qu’il n’est pas encore, pour notre bonheur et c’est pour moi
l’occasion de saluer la présence dans cette salle d’un de ses ainés, parmi d’autres.
Le professeur Assante Seck, mon professeur et celui de plusieurs générations
d’apprentis géographes, est là et, à moins de lui demander de courir un cent mètres,
il garde une forme que beaucoup souhaiteraient garder à son âge. Ces aînés là
nous en avons, nous en aurons, besoin, car, comme le dit un proverbe pulaar,
l’homme âgé n’a pas forcément appris tout ce qu’il sait, il lui a suffi de
vivre.
Si j’ai pris le risque de présenter l’ouvrage
d’A.M.Mbow intitulé « Le monde en devenir. Réflexions sur le nouvel
ordre économique international », paru, ou plus exactement réédité, chez
l’Harmattan, alors que je ne suis nullement un spécialiste du sujet, c’est que
d’abord l’auteur lui-même ne revendique
pas le titre d’éminence grise pour distribuer des leçons. Pourtant quelle
pertinence dans son analyse ! Depuis que la première édition de cet
ouvrage a été publiée, au milieu des années 70, le monde a bien changé.
Rappelez-vous, c’était l’autre siècle : Mandela était en prison, nul
n’imaginait que le pouvoir passerait en Afrique du Sud, entre les mains de la
majorité noire, le mur de Berlin paraissait indestructible, et, comme dirait quelqu’un,
la Chine n’était pas encore entrée dans l’histoire moderne. On était bien dans
« le temps du monde fini », mais peu
de gens savaient qu’on était
entré dans celui de la mondialisation. Bill Gates avait vingt ans. Pourtant,
les idées développées dans cet ouvrage sont d’une actualité, d’une fraicheur, d’une
jeunesse impertinentes, et en cela, le titre même du livre – « un monde en devenir »
– prend un sens particulier. Amadou Mahtar Mbow fait en effet preuve d’un
esprit visionnaire et de capacités d’anticipations remarquables, et j’en veux
pour preuve la part qu’il y assigne à
des questions qui, il y a trente ans, pouvaient paraitre superflues, et qui,
aujourd’hui, sont devenues des préoccupations majeures pour l’humanité. Parmi
ces questions, il y a par exemple le développement durable, l’éthique, la
révolution des TIC en général et de l’informatique en particulier, l’économie
de la connaissance, la nécessité de considérer les problèmes dans une
perspective globale, etc. En ce qui concerne ce dernier point, Amadou Mahtar
Mbow s’autorise plusieurs développements, et cela alors même que lorsque ces
lignes ont été écrites, le concept même de globalisation n’avait pas encore été
formellement constitué. Il en est de même pour l’économie de la connaissance, terme relativement récent, mais dont le
concept, les enjeux et les implications ont été plusieurs fois abordés dans le
livre. A la lecture par exemple du chapitre 4, consacré à l’importance du
développement scientifique, technologique et culturel, l’auteur consacre des
pages très intéressantes et très actuelles non seulement à l’impact de la
connaissance sur le développement, aux enjeux liés à la diffusion de la science
et de la technologie, mais aussi aux dangers ou aux risques qui pourraient en
découler. Ainsi, à la page 61, il déclare ceci : « le fait qu’une
base scientifique est indispensable au développement pose une question
éthique : les inventeurs des savoirs scientifiques – individus ou nations
– peuvent-ils se les approprier, se les réserver de manière
exclusive ? ». Il y a trente
ans, cet avertissement pouvait ne pas être compris. Mais aujourd’hui, on en
comprend certainement mieux le sens, devant les tentations et les tentatives de
plus en plus nombreuses d’une privatisation des savoirs et des connaissances,
du fait de l’extension croissante des activités et des sources de profit du
« capital ». Devant une telle menace, il est en tout cas heureux de
constater qu’une résistance s’est organisée au niveau mondial, comme, par
exemple, les plateformes d'édition électronique ouverte, qui militent notamment
pour un accès libre et gratuit à l’information scientifique.
Mais, en ces temps de crise des valeurs, le
passage qui m’a le plus ému dans ce livre et celui qui livre la vraie
personnalité de l’auteur est la place faite à l’éthique et à l’humanisme. Nous
l’avons déjà évoquée plus haut et elle est omniprésente dans l’œuvre et les
discours de Mbow, présente notamment, dans cet autre ouvrage paru quelques
années plus tard et intitulé « Le temps des peuples ». Celui qui
était toujours Directeur Général de l’Unesco, y montre que son souci n’était
pas seulement de sauver des monuments en péril, mais aussi la conscience du monde.
On comprend que son souci de combattre un monde inégalitaire, où quelques uns
imposent leurs voix, et de promouvoir un autre où chacun respecte l’autre, lui
ait valu quelques inimitiés. Dans le livre qui nous occupe aujourd’hui, Amadou
Mahtar Mbow mettait déjà au premier plan de ses préoccupations le développement
des qualités essentielles de l'être humain. Tous ceux qui ont la chance et
l’extrême bonheur de l’approcher et de le fréquenter ne me démentiront pas si
je disais que ce qui frappe le plus chez cet homme, c’est à la fois son respect
et son amour de l’homme, et aussi le fait qu’il place l'homme au-dessus de tout. En cela d’ailleurs, le nouvel
ordre économique international qu’il appelle de tous ses vœux (et sur lequel je
reviendrai plus loin) s’inscrit en droite ligne de cet humanisme principiel.
C’est cet humanisme qui explique l’engagement dont il fait preuve dans cet ouvrage
pour des causes telles que la paix, la solidarité, ou la coopération
internationales. C’est aussi cet humanisme qui explique qu’il propose (p. 17)
de « partir des problèmes économiques, mais [de] savoir dépasser cette
dimension de l’activité humaine ». Il s’ensuit des contributions majeures que
je recommande particulièrement à tous ceux qui s’intéressent aux fondements de
la pensée économique ou aux finalités de l’activité économique. Aujourd’hui
d’ailleurs, de plus en plus de voix s’élèvent à la fois contre la conception
ultralibérale qui domine désormais la pensée économique et contre les impasses
auxquelles cette dernière conduit l’humanité. Il y a déjà trente ans, Amadou
Makhtar Mbow tirait sur la sonnette d’alarme, et vous me permettrez de revenir
en arrière pour ajouter qu’ici aussi, il a été un grand visionnaire. En effet,
dans cet ouvrage, il défend l’idée selon laquelle « l’échange économique
devrait retrouver, par delà les intérêts en cause, son sens humain
profond », et pour cela, il suggère notamment d’une part « d’élargir
la conception traditionnelle des échanges économiques, et plus encore de
dépasser le domaine économique lui-même », et d’autre part « [qu’il
faut restaurer] la signification même de l’échange économique, vécu dans un
esprit de réciprocité et de solidarité ».
J’en viens maintenant au sujet qui a donné son
titre à cet ouvrage, à savoir « le nouvel ordre économique
international ». En dépit de ce que pourrait laisser croire le triomphe,
aujourd’hui planétaire, de l’économie de marché, il reste constant, comme le
dit Amadou Makhtar Mbow, d’une part que « le système international parait
incapable d’expliquer et de maîtriser les évènements économiques dans leur
déroulement récent », et d’autre part que « ce système est inadapté à
la dimension mondiale des problèmes, aux aspirations légitimes des nouveaux
Etats et aux besoins des peuples ». L’humanité a donc plus que besoin
aujourd’hui d’un nouvel ordre économique international, ou pour reprendre une
terminologie plus moderne « d’un autre monde », selon la formule
consacrée par le mouvement altermondialiste. On remarquera au passage que
celui-ci reprend aujourd’hui à son
compte bien des idées et des principes défendus il y a plus trente ans par
l’auteur du livre. Dans cet ouvrage, Mbow revient longuement sur ce concept de
« nouvel ordre économique international », à travers notamment
l’énoncé des constats et des aspirations qui ont donné naissance au concept, la
nécessité de considérer les problèmes dans une perspective globale, les
obstacles à surmonter (dont notamment les rigidités à la fois des structures
économiques et du point de vue des mentalités), les voies à emprunter (parmi
celles-ci, figurent l’acceptation d’un engagement loyal dans une coopération
internationale renouvelée, une solidarité mondiale envers les pays les plus
pauvres, la mise en place d’une structure de gouvernance mondiale,
l’articulation des transformations à opérer aux niveaux national et
international…). L’auteur accorde également une attention particulière à
l’adaptation nécessaire du système des Nations-Unies, et fait preuve à ce
propos d’un sens critique et d’un esprit d’indépendance remarquables, puisqu’au
moment où il écrit ces lignes, il est encore Directeur Général de l’UNESCO. Il
est probable que l’affaiblissement regrettable de la voix et du rôle des
Nations-Unies, voire même sa « décrédiblisation », n’auraient pas eu
lieu si les décideurs de l’époque avaient suivi Mbow dans ses propositions, lesquelles étaient
tout simplement fondées sur l’idée selon laquelle « la mise en place d’un
nouvel ordre économique international implique qu’on accepte de reconsidérer
avec sincérité et courage l’ensemble du système des Nations-Unies » (p.
46). Parmi les propositions les plus intéressantes au sujet de l’institution
formulées par Amadou Makhtar Mbow, on peut noter :
- l’adaptation de ses structures et de ses institutions, à travers un triptyque prospective-concertation-programmation,
- une nouvelle définition de ses critères et de ses moyens d’action, fondée notamment sur un dépassement de la notion « d’assistance »,
- le renforcement de ses ressources financières, afin notamment que ses institutions spécialisées puissent mettre en œuvre des programmes concernant la réorganisation du système économique mondial et le rééquilibrage entre les régions.
Dans ce combat en faveur d’un nouvel ordre
économique international – il en est également ainsi pour le nouvel ordre de
l’information et de la communication – Amadou Makhtar Mbow s’est engagé plus
que quiconque, à porter infatigablement la voix aux quatre coins du monde, et
en cela, nous lui devons nous tous une reconnaissance éternelle. Il est heureux
de constater qu’il demeure plus que jamais engagé pour un monde meilleur, comme
l’illustre – à un niveau national – son militantisme citoyen au sein du
mouvement des Assises Nationales, qu’il a dirigé de main de maitre et dont il a
contribué grandement au succès. Puissent les générations futures apprendre et
s’inspirer de son exemple afin que les idéaux de paix, de justice, d’équité,
d’éthique triomphent à jamais, et pour que le monde soit meilleur,
définitivement.
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