Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 24 mars 2011

WADE, LE MOLLAH OMAR, BEN LADEN ET DIEU...

Ainsi donc le président Wade aurait écrit à Monsieur Mohamed Omar Moujahid, plus connu sous le nom de Mollah Omar, pour solliciter (ou exiger ?) la libération des otages français détenus en Afghanistan depuis près de quinze mois ! En ces temps de sécheresse publicitaire, voila de quoi restaurer la réputation de notre pays, qui s’effiloche comme la côte de popularité de M. Sarkosy, et montrer au monde que notre président a bien le sens des priorités nationales. Si cette initiative audacieuse n’efface pas des premières pages des journaux les soubresauts du « printemps arabe » et même les affres du séisme japonais, c’est à désespérer de la perspicacité de la presse…

Car enfin, Me Wade a bien de la chance et ses services de renseignements méritent toute notre admiration. Il est certainement le seul homme au monde à être convaincu que le mollah Omar est encore de ce monde et, surtout, à savoir comment lui faire parvenir une correspondance d’une telle importance. La dernière fois qu’on a vu le mollah, c’était en octobre 2001, il y a presque dix ans, et il était sur une « djakarta », un petit cyclomoteur qui quittait le brasier allumé par l’intervention extérieure pour s’enfoncer dans la nuit des « zones tribales » du nord-ouest du Pakistan, au nez et à la barbe de l’armée américaine. Depuis lors, le pays le plus puissant du monde, renforcé par ses alliés, n’a pu ni l’arrêter, ni l’intercepter, ni le retrouver mort ou vif. Il est apparemment aussi difficile de retrouver en Afghanistan ou au Pakistan, un grand géant, entre quarante et cinquante ans, enturbanné, barbu et borgne, que de retrouver une aiguille dans une botte de foin, ou, pour parler comme chez nous, que de trouver un sérère beau et de teint clair dans le Sine ! Le mollah Omar s’est volatilisé dans les montagnes et une prime de 10 millions de dollars américains n’a pas suffi pour lui mettre le grappin dessus. Le président sénégalais fait donc preuve d’un courage et d’une détermination exceptionnels en décidant d’entrer en contact avec l’homme le plus recherché du monde, une sorte de SDF à l’échelle d’un continent.

On peut certes se poser la question de savoir pourquoi Me Wade, chef d’état africain et président de l’OCI, s’intéresse au sort de MM. Taponnier et Ghesquière, citoyens français, plutôt qu’à celui, au moins aussi peu enviable, des otages africains, ou détenus en Afrique, ou des 8000 prisonniers palestiniens, dont des femmes et des enfants, soumis à une mort lente dans les geôles israéliennes. Par exemple au sort de Salah Hamouri, ancien étudiant en sociologie à l‘université de Bethlehem, surnommé le « Mandela des oubliés », détenu depuis six ans, sans aucune charge claire et que certains assimilent à un prisonnier politique. M. Hamouri est pourtant de nationalité française, mais il n’a pas derrière lui le lobby qui se bat pour la libération de Gilat Shalit, et à ceux qui réclamaient à la France de prêter la même mansuétude à l’otage franco-palestinien que celle manifestée à l’endroit de l’otage franco-israélien et d’exiger donc la libération de Salah, Michèle Alliot-Marie, alors ministre des Affaires étrangères, avait répliqué, en janvier 2011 : « Il n’appartient pas aux autorités françaises d’intervenir ou même de commenter les procédures judiciaires d’un État souverain ». Comme quoi, M. Hamouri n’a pas droit non plus à la même égalité de traitement que Florence Cassez, accusée elle de prise d’otages et de trafic de drogue et pour laquelle la France a sacrifié ses relations avec le Mexique ! Mais Wade ne serait pas Wade s’il ne faisait que ce qu’on attend de lui, et intéressons-nous donc non à l’objet mais au destinataire de sa lettre.

Car il faut d’abord savoir comment le Président de la République parviendra à faire remettre au mollah sa précieuse missive…

On n’imagine pas qu’il se contente de la mettre à la poste, avec la mention : « Monsieur Mollah Omar, poste restante, Kandahar », en ajoutant, peut-être, « Aux bons soins des facteurs afghans », ce qui, me disait-on quand j’étais jeune, vous dispensait même d’apposer un timbre. Dieu merci, Me Wade a de quoi payer une franchise postale, mais le problème c’est qu’une lettre affranchie dans ces termes attirerait tout de suite la curiosité des services secrets américains. Elle serait violée, photographiée, scannée dans ses moindres détails, falsifiée peut-être, au point de perdre, pour le moins, toute confidentialité, toute crédibilité aux yeux de son destinataire. Sans compter que la CIA serait probablement aux trousses du facteur…

La poste n’est donc pas la bonne solution.

Pourquoi ne pas essayer dès lors de recourir aux services d’un envoyé spécial, une sorte d’ambassadeur extraordinaire, acheminé par le tout nouvel avion présidentiel et muni de tout le viatique pour fouiller les souks afghans et escalader les montagnes des zones tribales. Il faudrait évidemment que ce soit un de ces fous du pape du Sopi, plus Wadiste que Wade lui-même, un de ceux qui disent qu’ils ne sont pas PDS mais Wadistes, prêt à s’immoler pour attirer le regard de son maître. Dieu sait qu’ils sont nombreux autour du Président. Et pourquoi pas Farba Senghor ? D’abord parce que plus wadiste que lui, tu meurs ! Ensuite parce qu’il est au chômage et que ce serait un moyen de le sauver de la dépression, de faire l’économie de quelques bourdes, de l’utiliser sans frais supplémentaires et sans laisser un vide pendant la durée de son absence, qui pourrait être très longue. Enfin parce que, pour une mission aussi spéciale, il faut bien « un élément hors du commun ». L’inconvénient, c’est que c’est un homme qui n’aime pas passer inaperçu et que son zèle pourrait le conduire à haranguer les foules sur les marchés de Kaboul ou de Kandahar pour recruter des militants.

Le Président pourrait aussi faire déposer la lettre au bureau du courrier d’Al Jazira à Doha, malheureusement on est là-bas plus attentif aux remous qui secouent le monde arabe qu’à la prose d’un chef noir quasi inconnu des auditeurs de la chaîne arabe.

Il y a bien une dernière solution pour acheminer cet embarrassant message. Le président Wade est, comme on le sait, féru de TIC et d’innovations technologiques : alors pourquoi ne pas recourir à l’Internet et mettre à l’épreuve son ministre de la Connectivité ? Le problème, ici aussi, outre le fait de connaître le mail du mollah qui n’est pas sur Facebook, c’est que les hackers chinois sont à l’affut de tous les secrets et pourraient donc détourner le message, le brouiller ou le transformer en spam. Ils sont apparemment plus forts que leurs collègues américains qui, en dix ans, n’ont pas réussi à localiser le circuit des messages de Ben Laden.

Le président Wade a donc le choix entre plusieurs solutions, mais, au moins une chose est sûre : il n’aura pas besoin de se servir de ses mallettes pleines de devises : dans son code du parfait taliban, le mollah Omar a interdit toute prise d’otages contre rançon. On peut néanmoins se demander si notre Président saura trouver les mots pour séduire son correspondant dont le tempérament est à l’opposé du sien : il aime les bains de foule et transforme ses audiences en xawaare, le mollah Omar n’a été vu en public à Kaboul qu’une seule fois en cinq ans de pouvoir.

Enfin, pendant qu’il y est, pourquoi le président Wade n’écrirait-il pas aussi à un autre illustre perturbateur, un autre SDF censé être sous les mêmes abris, M. Oussama Ben Mohamed Ben Awad Ben Laden, appelé plus couramment Ben Laden ? Après tout, il est – selon les médias occidentaux – « le banquier du Jihad », et qui tient la bourse tient le pouvoir. Il est aussi l’inspirateur du mollah Omar et son beau- frère, et un proverbe pulaar dit que le héron et son beau-frère pêchent toujours ensemble. Deux lettres par le même coursier, cela rentabiliserait l’opération, amortirait les frais de gestion et gonflerait d’orgueil le factotum commis à cette tâche. D’une certaine manière, c’est même plus urgent et surtout plus productif, d’écrire à Ben Laden qu’au mollah 0mar : l’un n’a que son pays pour objectif, quand l’autre se donne une vocation d’agitateur universel. Si l’on en croit les médias occidentaux, il régnerait sur un État virtuel, avec des gouverneurs provinciaux et des missi dominici et, tout comme l’Angleterre au XIXe siècle, le soleil ne se coucherait jamais sur son empire. Il pourrait, par la même occasion, expliquer au président Wade le secret de sa santé inusable puisqu’il y a dix ans, on le disait tout près de la tombe, soumis à des dialyses régulières, au point de se construire un hôpital souterrain ultramoderne dont personne n’a retrouvé les traces. Si le mollah Omar sévit à des milliers de kilomètres, Ben Laden est à nos portes et déstabilise déjà nos voisins. Le président Wade gagnerait donc à la fois l’estime de ses collègues africains et celle de la France en obtenant la libération des otages d’Arlit. Avec la force qu’on lui prête, Ben Laden pourrait même faire libérer des geôles mexicaines la très précieuse Florence Cassez, ce qui enlèverait une épine au pied de Nicolas Sarkozy, qui à un an des élections que l’on dit perdues par son camp, n’hésiterait sans doute pas à annuler la dette du Sénégal, voire à effacer l’ardoise que représente l’achat du nouveau jet présidentiel. Une lettre à Ben Laden, ça ne coûte pas cher et ça peut rapporter gros !

Mais, au fond, au lieu de passer par les sous-traitants, pourquoi le président Wade n’écrirait-il pas directement à Dieu qui est pour ainsi dire un collègue ? Certes leurs domaines de compétence n’ont pas la même étendue, mais Me Wade a au moins une qualité divine : il est « la seule constante » de notre pays, répètent à l’envi ses aficionados qui en oublient que d’autres, qui avaient revendiqué le même privilège, ont été emportés par des révoltes de rues ou tout simplement par l’usure naturelle de leurs artères. Reste qu’écrire à Dieu, c’est écrire à un Etre dont personne ici ne doute de l’existence : tout le monde sait où Il est, puisqu’Il est partout. Autre avantage, avec Lui on n’a pas besoin de timbre ni de facteur ou de vaguemestre, et le président, qui dit avoir les meilleurs marabouts du monde, n’aura pas besoin de l’expertise de son ministre de la Connectivité. Enfin lorsqu’il s’agit de Dieu, il n’y a pas de limites à la requête. Me Wade pourra donc lui demander tout à la fois la fin des délestages et des immolations par le feu, la reddition du MFDC, de retrouver ses jambes et son entrain de la « Marche Bleue » de 2000, et, pour couronner le tout, la victoire en 2012 !

Néanmoins une dernière inquiétude me saisit. Dieu n’est pas seulement miséricordieux, Il est aussi le Juge suprême. Combien donc pèsera la lettre de Me Wade à côté de la pétition du peuple sénégalais ? Ne réveillera-t-elle pas les cris de tous ceux qui se plaignent par exemple que celui qu’ils avaient élu pour changer leurs vies ait surtout changé trois fois de jets personnels (la réparation de la Pointe des Almadies, pouvant être assimilée par son coût à l’achat d’un aéronef), en onze ans de règne, et distribue l’argent public, le produit de leur sueur, à des fonctionnaires internationaux et des courtisans rassasiés, quand son peuple est en plein désarroi et l’économie nationale paralysée par les coupures d’électricité ?

Certes Dieu n’oublie rien, mais le 19 mars Me Wade sera sur ses éphémérides et il serait plus prudent que le Président de la République ne se rappelle pas à son bon souvenir par des incantations intempestives. Pour ma part donc, je conseillerai humblement à Me Wade de se contenter, en ce moment crucial, de n’écrire qu’au mollah Omar.

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