Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 6 juillet 2010

Sarkozy et l’Afrique : 1000 jours plus tard !

Ce texte a été publié dans "Le Quotidien" du 2 juin 2010
En mai 2006 Nicolas Sarkozy, alors ministre de l’intérieur de la France, effectuait, au pas de charge, une tournée en Afrique francophone. C’était une tournée électorale, même s’il ne s’adressait pas aux Français d’Afrique, dont les voix ne pèsent pas lourd dans la balance électorale et qui d’ailleurs lui préféreront Ségolène Royal. Les visites dans le « pré-carré »africain de la France constituent toujours un rite initiatique auquel sont soumis tous les Présidents français soucieux de mettre en évidence leur fibre africaine et Sarkozy avait pris les devants. D’ailleurs, même si l’on n’est pas chef d’état, dans quelle autre région du monde une personnalité française de haut rang peut-elle espérer mobiliser autant de foules qu’en Afrique francophone, susciter autant de curiosité et de sympathie ?
S’il n’est pas encore Président de la République, Sarkozy en prend le ton et la pose au Mali et au Bénin : un président français, en Afrique, ça donne des leçons, ça morigène ses hôtes, ça évoque « l’âme africaine », car l’Afrique est le seul continent qui ait une âme. Au lieu d’instruire ses hôtes sur la situation et les besoins de la France, il va donc se présenter en expert du continent et de la bonne gouvernance, lui qui n’a encore dirigé aucun pays, qui n’a aucune expérience personnelle de l’Afrique, qui n’a même jamais manifesté jusqu’alors une attirance particulière pour cette région du monde. De toutes façons ce qu’il va livrer a été écrit par quelqu’un d’autre, tout aussi néophyte, et c’est sans doute pour cela qu’il lui arrivera souvent de se dédire d’une escale à l’autre, de dire à Bamako que la France et le Mali étaient « les héritiers de grandes civilisations », et, quelques mois plus tard, d’ affirmer tout aussi péremptoirement, à Dakar, que l’Afrique « n’était pas assez entrée dans l’Histoire » !

Culpabilisez ! Il en restera toujours quelque chose !
La première phase de son exercice oratoire consistera à assommer ses hôtes africains, à leur flanquer au visage l’état de leur ruine et de leur délabrement, à leur apprendre ce qu’ils sont et qui ils sont. Et ce n’est pas beau :1 médecin pour 100000 habitants, soit 300 fois moins qu’en France,10 fois moins de ressources électriques par habitant ,60 % de la population occupée dans une agriculture arriérée et 30 % des terres arables disparues en une génération, alors que la population a doublé dans le même temps, un taux de mortalité infantile 10 fois plus élevé qu’en Europe etc. Après cet inventaire accablant d’une misère immuable il leur assène un dernier coup de massue : les Africains n’ont qu’à s’en prendre à eux-mêmes, ils sont les seuls responsables de leur malheur. La colonisation, dira-t-il, n’est à l’origine « ni des guerres (civiles), ni des génocides, ni des dictatures, ni du fanatisme, ni de la corruption, ni du gaspillage, de la prévarication et de la pollution ! » C’est monstrueusement excessif, pour le moins, mais c’est cela qu’il appelle tenir le langage de la vérité, et comme il est le seul à s’exprimer, on ne saura jamais quelle vérité ses hôtes pourraient lui opposer. Il se gardera en tout cas de tenir le même discours en Chine, d’y stigmatiser les massacres de la Révolution culturelle, l’écrasement du peuple tibétain, l’opulence des oligarques face au dénuement des campagnes : la vérité ne peut pas être dite partout !
« Un kit de développement » en cadeau !
La deuxième phase du discours de Sarkozy consistera, après le diagnostic, à offrir le remède, à se présenter en expert en développement, à donner à ses hôtes les directives nécessaires pour sortir de leur désastreuse situation. Lui qui affirmait que « la France n’acceptera jamais de leçons des puissances commerciales( !)et des professeurs de vertu », ne se gênera pas pour distribuer aux Africains des leçons d’économie et même d’éthique. Il ne se contentera pas de donner quelques idées générales, il leur proposera un véritable « kit de développement », prêt à l’usage. Tous les domaines sont abordés : entreprises, infrastructures, finances, éducation, mines, mais les propositions ne sont que des lieux communs qu’on ne balance plus qu’aux Africains, et il n’y a plus que les Français à répéter de telles antiennes.
Mais à Bamako, à Cotonou, à Dakar, Sarkozy n’avait pas fait que donner des leçons, il avait aussi pris des engagements. Mille jours après son accession au pouvoir, et au moment où se tient le Sommet France-Afrique (encore une survivance du passé !), il n’est que naturel de lui demander des comptes.
Il avait pris l’engagement de promouvoir une véritable refondation des rapports franco-africains, de les transformer en une « relation assainie, débarrassée des réseaux et non personnalisée » .L’un de ses ministres, Jean-Marie Bockel, l’avait pris au mot, peut-être parce qu’il venait d’ailleurs, et s’est vite brûlé les ailes sur le brasier Bongo. Excédé par ses rodomontades le président gabonais avait exigé et obtenu sa tête, puis, accueillant son remplaçant à Libreville, avait préféré s’entretenir d’abord avec le messager « personnel » du Président français avant de recevoir le ministre de la France. Aujourd’hui encore, comme aux beaux temps de la Françafrique, les ambassadeurs de France sur le continent souffrent d’être souvent court-circuités par des émissaires de l’Elysée, plus « compréhensifs »ou plus arrogants, c’est selon, plus crédibles en tous cas, que les représentants officiels.
Chassez le paternalisme, il revient au galop !
Sarkozy avait promis la fin du paternalisme. Mais le paternalisme ne peut être révoqué par decret, c’est un comportement dont on ne peut se défaire sans une sorte de révolution mentale et celle-ci n’a pas encore eu lieu. La preuve en est fournie par le ministre de la Coopération, qui affirme que la Côte d’Ivoire (et l’Afrique en général ?)n’a pas besoin d’une liste électorale irréprochable et qu’il lui suffit de se conformer au calendrier approuvé par la « communauté internationale », ou par Robert Bourgi, conseiller inamovible à « la cellule africaine » ( !), qui laisse entendre que Ali Bongo est le candidat de la France aux élections présidentielles gabonaises. C’est aussi faire preuve de paternalisme que d’imposer à Bamako la libération des terroristes de l’AQMI en échange d’un otage français, quand on se dit outré par la proposition d’élargir l’assassin de Chapour Bakhtiar en échange de Clotilde Reiss détenue alors à Téhéran.
Sarkozy avait promis qu’il allait instaurer des liens non condescendants mais particuliers, « affectueux »mêmes, avec nous, reconnaissant une « parenté » entre la France et les états issus de son ancien empire. Sans contrepartie, car la France ne « fait pas d’affaires en Afrique », précisait-il sans réaliser que c’était peut-être les Africains qui préféraient faire des affaires ailleurs. Pourtant, il a visité l’Angola avant le Burkina, et pour cause : la première est devenue le premier producteur de pétrole au sud du Sahara. Pourtant c’est à Prétoria, et non à Dakar ou à Abidjan, qu’il fera l’annonce du retrait des bases françaises d’Afrique. Cela ne concernait en rien ses hôtes mais la caution sud-africaine pèse bien plus lourd à ses yeux que celle des petits pays francophones.
Vérité au sud du Sahara…erreur au nord !
Au-delà des promesses il y a le double langage : ce que Sarkozy dit en Afrique, dont il se promettait d’être l’avocat( !), n’est pas ce qu’il dit en France. Il avait dit à Bamako : « les Maliens (de France) sont honnêtes et travailleurs…Ils sont les bienvenus».Il avait renchéri à Cotonou : « je constate que l’Afrique aime la France ».C’est encore le genre de banalités qui ont fait le lit de l’ère coloniale et qui font croire que tous les Africains sont coulés dans le même moule. Mais, face à ses compatriotes, Sarkozy exprime ses doutes et, surtout, le fond de sa pensée. A Agen il lancera cette menace aux immigrés : « ceux qui n’aiment pas la France ne sont pas obligés de rester sur le territoire national ».Face aux troublions de la banlieue parisienne, il ne verra plus que des « voyous »qu’il faut « nettoyer au karcher ». A Cotonou il avait promis de « respecter le nécessaire devoir de mémoire », à Agen il prendra à partie « ceux qui préfèrent chercher dans les replis de l’Histoire une dette imaginaire, qui préfèrent attiser la surenchère des mémoires pour exiger une réparation ».Pour lui la France n’a de dette qu’à l’égard de ses rapatriés, de « ceux qui ont été chassés de leurs pays et qui ont tout perdu. »
Avant d’être élu Président, il vantait « l’alliance des peuples », établissait un lien entre «immigration et tolérance », proclamait que « la France devait s’ouvrir au monde ».Une fois élu, il jugera qu’il faut plutôt apparier immigration et identité nationale, ouvrant la voie à des dérives verbales tenues par ses propres ministres et indignes du génie français. Il avait théorisé la doctrine de « l’immigration concertée », qui n’est qu’une sélection organisée des cadres et techniciens au profit du Nord. Dans la réalité, il est le seul auteur du concept, se contentant, de solliciter, avec plus ou moins de bonheur, la ratification des parties africaines. La France est plus que jamais crispée sur son identité et le brigadier parachutiste Guissé, qui l’avait servie sur deux fronts de guerre mais avait le malheur d’être issu de l’immigration, s’est vu contester sa nationalité parce qu’il y a plus de dix ans son père n’avait pas respecté les lois sur le regroupement familial !
Nicolas Sarkozy avait assuré aux Africains que l’un de ses principaux combats serait la défense des droits de l’Homme, dont la France était « la patrie », contre « toutes les forces obscures », qu’elles soient du nord ou du sud. En trois ans le bilan est édifiant. Malgré les états d’âme d’une de ses ministres, l’un des premiers chefs d’état africains qu’il ait reçu à Paris, Kadhafi, était arrivé au pouvoir il y a 40 ans par un coup de force et gouverne un pays sans parlement, sans presse libre ni partis politiques. Il a rendu visite à la Tunisie dont le président, élu par des scores « à la soviétique », exerce son pouvoir par la corruption et l’intolérance, et où un journaliste a été condamné à six mois de prison en l’absence de sa présumée victime, de son avocat et des témoins. Il a envoyé un émissaire spécial pour remercier le président soudanais, et, du Kazakhstan aux pays du Golfe Persique en passant par le Rwanda, il a fréquenté beaucoup de chefs d’états qui n’étaient pas des parangons de la démocratie.
Il avait promis que l’Afrique ne serait pas la seule à être mise on observation par ses soins et que « les valeurs des droits de l’Homme seraient aussi défendues en…Asie ».Pourtant il a envoyé son Premier Ministre en Chine à la veille de la condamnation d’un universitaire dont le seul crime avait été d’être le porte-parole de ceux qui réclament plus de démocratie et de respect. Lui-même s’y est rendu, à l’occasion de l’inauguration de l’exposition universelle, et on ne l’a guère entendu évoquer le sort des Tibétains ou celui des dissidents mis à l’ombre au moment de sa tournée, ou celui des internautes soumis à la censure. Il est sans doute plus facile de témoigner sa sympathie au chef indien Raoni que de recevoir le Dalaï- Lama.
Il ne s’était pas contenté de dire que la France « bannit toute prise de pouvoir par la force », il avait ajouté qu’elle n’attendra pas les coups d’Etat pour « dire à ses partenaires africains que telle décision ou telle politique ne sont pas moins que des manipulations électorales ou des dérives autocratiques », annonçant en quelque sorte l’avènement d’une diplomatie préventive. Depuis qu’il est au pouvoir, plusieurs coups d’Etat militaires ou constitutionnels ont eu lieu en Afrique et non seulement Paris ne les a pas contrecarrés, mais a eu, généralement, une attitude plutôt complaisante vis-à-vis de leurs auteurs.
Sarkozy avait dit : « la France se fera respecter »et, naïvement, les Africains avaient compris qu’elle banderait les muscles contre les « grands bandits » du monde. Ils ont vite réalisé que c’était surtout eux qui allaient (re)découvrir de quel bois elle se chauffe. Lorsque des « humanitaires »français, accusés de trafic d’enfants, seront arrêtés au Tchad et mis en prison, Sarkozy lancera cette provocation : « J’irai les chercher, quoiqu’ils aient fait ! »Mais lorsque la Française Florence Cassez, interpellée au Mexique dans des circonstances rocambolesques, sera, après un simulacre de procès, condamnée à 60 ans de prison, il se contentera de suggérer avec diplomatie, son transfert dans une prison française. Depuis Napoléon III on connaît en France le coût d’une expédition au Mexique !
Pour l’Afrique francophone Sarkozy reste donc l’homme du « discours de Dakar », et non celui de la rupture qu’il nous avait annoncée, et ce n’est pas en passant six heures en R.D.Congo et autant au Niger ou en convoquant le continent à Nice qu’il percera « l’âme africaine » .Mitterrand avait promis aux Africains que la France allait leur « parler le langage qu’ils ont aimé d’elle », lui leur a tenu celui qu’ils croyaient révolu. Pour la première fois depuis les indépendances africaines un Président français n’impressionne plus ses homologues africains, et de Wade à Gbagbo, en passant par le débonnaire ATT, beaucoup lui résistent ou le critiquent ouvertement. Il est vrai qu’il n’a ni l’aura de De Gaulle, ni la séduction de Mitterrand, ni la chaleur de Chirac.
Avec ses compatriotes il a connu en trois ans, nous dit-on, le « désamour ». Avec les Africains il n’y a pas eu d’amour
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