NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 16 mai 2019
Il y a un peu plus de huit mois, le 2 septembre 2018, le
Musée de Rio de Janeiro, Musée National du Brésil, s’embrasait brutalement et
l’incendie réduisait en cendres la quasi-totalité des 20 millions d’objets de
grande valeur qui constituaient ses collections. Pourtant l’évènement, cette
catastrophe culturelle, n’a pas soulevé dans le monde le même écho, le même
élan de sympathie, la même émotion que l’incendie qui, le 15 avril dernier,
avait ravagé partiellement la cathédrale de Paris. Les médias du monde ne lui
ont pas donné la place qu’il méritait, les politiques, les chefs d’Etats en
particulier, ne se sont pas bousculés pour exprimer publiquement leur
compassion et apporter leurs contributions et ceux qui, comme le président
français, avaient fait des offres ne les ont pas respectées. La collecte de moyens
financiers réunie au profit du musée de Rio se chiffre à ce jour en dizaines de
milliers d’euros et ses dirigeants en sont encore à mendier de l’aide pour le
doter de containers et d’étagères afin de sauver ce qui a échappé au feu. Pour
Notre Dame, les dons et promesses de dons ont dépassé le milliard d’euros en
quelques jours, alimentés par de petits, de grands et même de très grands
mécènes, pour la plupart nationaux il est vrai. L’explication de cet écart ne
repose ni sur l’ancienneté ni sur la qualité architecturale des édifices
dévastés, elle ne découle pas non plus du fait que l’un abrite une institution
laïque alors que le second est un lieu sacré. Ses vraies raisons, c’est qu’en
culture aussi, comme en politique et comme pour les désastres sociaux, les
mêmes évènements n’ont pas la même résonance et n’invitent pas aux mêmes actes
de générosité selon qu’ils se déroulent au Nord ou au Sud. Nos chefs d’Etat ont
marché et même pleuré pour Charlie, leurs homologues européens n’ont pas défilé
pour Ogossagou, l’incendie du MoMA de New York, un Andy Warhol qui brûle,
auraient eu dans le monde un autre retentissement que l’embrasement du Musée de
Rio ou la combustion d’un de ses trésors, « Luzia », le plus vieux
fossile humain découvert dans le sud du continent américain…
Un patrimoine à jamais perdu !
Pourtant, et contrairement à Notre Dame, ce qui a été
détruit à Rio n’est ni restaurable ni remplaçable. Si l’édifice où est logé son
musée ne revendique que deux siècles d’existence, ce qui peut paraitre jeune
face aux presque mille ans de la cathédrale de Paris, ce qui y a été détruit a
l’âge de l’Humanité. Ce n’était pas qu’un musée, c’était un lieu de savoirs et
de recherches, et même si son siège n’est autre que l’imposant ex Palais impérial, c’est moins le
contenant que le contenu qui importe dans son cas. Ce ne sont pas seulement des
toitures qui se sont effondrées à Rio ou des murs qui sont calcinés, ce sont
des documents qui ont disparu à jamais. Ce que les flammes ont emporté, c’est
le fruit de plusieurs décennies d’investigations, ce sont des objets fabriqués
par des peuples de chasseurs-cueilleurs disparus ou qui ont changé d’existence,
ce sont des enregistrements audio dans des langues que personne ne parle plus,
ce sont des collections uniques au monde d’objets, d’armes, de parures d’indigènes,
fabriqués avec une ingéniosité oubliée et dans de rares matériaux, c’est le
plus vieux crâne, le plus vieux fossile de dinosaure découverts en Amérique du
Sud. L’Afrique a sa part puisque ce musée avait la plus importante collection
d’antiquités égyptiennes d’Amérique Latine ainsi que les témoignages les plus
précieux de la culture et de l’histoire de l’ancien royaume du Dahomey.
On peut dire que la calamité qui s’est produite à Rio a
effacé une partie des traces de la mémoire historique, scientifique, culturelle
du Brésil, et que de manière générale, le monde perd certains des plus vieux témoignages
sur le passé et l’anthropologie d’un continent quand il ne portait pas encore
le nom d’un illustre inconnu nommé Amerigo…
Cinq leçons pour l’Afrique
A défaut de pouvoir porter secours aux victimes nous, nos
responsables politiques et culturels, devrions pour le moins tenter de tirer
des leçons de cette tragédie.
Même s’il occupait un cadre prestigieux, le Musée de Rio
était déjà pénalisé par un environnement qui n’était pas celui que les gouvernants
aiment présenter aux touristes. Il se trouvait dans un quartier excentré,
déclassé, paupérisé, mal sécurisé au point que ses agents fuyaient leurs
bureaux avant la tombée de la nuit.
Avant d’être ravagé par l’incendie, il avait été la
victime du mépris des politiques, il avait été mis au pain sec, subi des coupes
budgétaires qui avaient mis à mal son patrimoine. Il avait, dit un de ses
dirigeants, souffert du « manque de soutien et du manque de
conscience » des autorités, toutes tendances confondues.
Il n’avait donc pas bénéficié de moyens suffisants pour
assurer la pérennité de ses collections en procédant notamment à leur
numérisation.
Après le déclenchement de l’incendie, les services de
secours, et notamment les sapeurs-pompiers, ne s’étaient pas montrés à la
hauteur de la catastrophe et s’étaient révélés insuffisants, inadaptés ou trop
lents à réagir.
Enfin, et c’est peut-être le plus important, le faible
écho fait à cette tragédie, le niveau dérisoire de l’aide qui a été apportée
aux dirigeants du musée, notamment au plan international, nous fournissent la
preuve que pour les catastrophes comme pour la vie de tous les jours, nous
devons d’abord compter sur nous-mêmes.
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