Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

lundi 20 mai 2019

DU MUSEE DE RIO A NOTRE DAME DE PARIS : LA DISCRIMINATION EST CULTURELLE AUSSI !



NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 16 mai 2019

Il y a un peu plus de huit mois, le 2 septembre 2018, le Musée de Rio de Janeiro, Musée National du Brésil, s’embrasait brutalement et l’incendie réduisait en cendres la quasi-totalité des 20 millions d’objets de grande valeur qui constituaient ses collections. Pourtant l’évènement, cette catastrophe culturelle, n’a pas soulevé dans le monde le même écho, le même élan de sympathie, la même émotion que l’incendie qui, le 15 avril dernier, avait ravagé partiellement la cathédrale de Paris. Les médias du monde ne lui ont pas donné la place qu’il méritait, les politiques, les chefs d’Etats en particulier, ne se sont pas bousculés pour exprimer publiquement leur compassion et apporter leurs contributions et ceux qui, comme le président français, avaient fait des offres ne les ont pas respectées. La collecte de moyens financiers réunie au profit du musée de Rio se chiffre à ce jour en dizaines de milliers d’euros et ses dirigeants en sont encore à mendier de l’aide pour le doter de containers et d’étagères afin de sauver ce qui a échappé au feu. Pour Notre Dame, les dons et promesses de dons ont dépassé le milliard d’euros en quelques jours, alimentés par de petits, de grands et même de très grands mécènes, pour la plupart nationaux il est vrai. L’explication de cet écart ne repose ni sur l’ancienneté ni sur la qualité architecturale des édifices dévastés, elle ne découle pas non plus du fait que l’un abrite une institution laïque alors que le second est un lieu sacré. Ses vraies raisons, c’est qu’en culture aussi, comme en politique et comme pour les désastres sociaux, les mêmes évènements n’ont pas la même résonance et n’invitent pas aux mêmes actes de générosité selon qu’ils se déroulent au Nord ou au Sud. Nos chefs d’Etat ont marché et même pleuré pour Charlie, leurs homologues européens n’ont pas défilé pour Ogossagou, l’incendie du MoMA de New York, un Andy Warhol qui brûle, auraient eu dans le monde un autre retentissement que l’embrasement du Musée de Rio ou la combustion d’un de ses trésors, « Luzia », le plus vieux fossile humain découvert dans le sud du continent américain…
Un patrimoine à jamais perdu !
Pourtant, et contrairement à Notre Dame, ce qui a été détruit à Rio n’est ni restaurable ni remplaçable. Si l’édifice où est logé son musée ne revendique que deux siècles d’existence, ce qui peut paraitre jeune face aux presque mille ans de la cathédrale de Paris, ce qui y a été détruit a l’âge de l’Humanité. Ce n’était pas qu’un musée, c’était un lieu de savoirs et de recherches, et même si son siège n’est autre que l’imposant ex Palais impérial, c’est moins le contenant que le contenu qui importe dans son cas. Ce ne sont pas seulement des toitures qui se sont effondrées à Rio ou des murs qui sont calcinés, ce sont des documents qui ont disparu à jamais. Ce que les flammes ont emporté, c’est le fruit de plusieurs décennies d’investigations, ce sont des objets fabriqués par des peuples de chasseurs-cueilleurs disparus ou qui ont changé d’existence, ce sont des enregistrements audio dans des langues que personne ne parle plus, ce sont des collections uniques au monde d’objets, d’armes, de parures d’indigènes, fabriqués avec une ingéniosité oubliée et dans de rares matériaux, c’est le plus vieux crâne, le plus vieux fossile de dinosaure découverts en Amérique du Sud. L’Afrique a sa part puisque ce musée avait la plus importante collection d’antiquités égyptiennes d’Amérique Latine ainsi que les témoignages les plus précieux de la culture et de l’histoire de l’ancien royaume du Dahomey.
On peut dire que la calamité qui s’est produite à Rio a effacé une partie des traces de la mémoire historique, scientifique, culturelle du Brésil, et que de manière générale, le monde perd certains des plus vieux témoignages sur le passé et l’anthropologie d’un continent quand il ne portait pas encore le nom d’un illustre inconnu nommé Amerigo…
Cinq leçons pour l’Afrique
A défaut de pouvoir porter secours aux victimes nous, nos responsables politiques et culturels, devrions pour le moins tenter de tirer des leçons de cette tragédie.
Même s’il occupait un cadre prestigieux, le Musée de Rio était déjà pénalisé par un environnement qui n’était pas celui que les gouvernants aiment présenter aux touristes. Il se trouvait dans un quartier excentré, déclassé, paupérisé, mal sécurisé au point que ses agents fuyaient leurs bureaux avant la tombée de la nuit.
Avant d’être ravagé par l’incendie, il avait été la victime du mépris des politiques, il avait été mis au pain sec, subi des coupes budgétaires qui avaient mis à mal son patrimoine. Il avait, dit un de ses dirigeants, souffert du « manque de soutien et du manque de conscience » des autorités, toutes tendances confondues.
Il n’avait donc pas bénéficié de moyens suffisants pour assurer la pérennité de ses collections en procédant notamment à leur numérisation.
Après le déclenchement de l’incendie, les services de secours, et notamment les sapeurs-pompiers, ne s’étaient pas montrés à la hauteur de la catastrophe et s’étaient révélés insuffisants, inadaptés ou trop lents à réagir.
Enfin, et c’est peut-être le plus important, le faible écho fait à cette tragédie, le niveau dérisoire de l’aide qui a été apportée aux dirigeants du musée, notamment au plan international, nous fournissent la preuve que pour les catastrophes comme pour la vie de tous les jours, nous devons d’abord compter sur nous-mêmes. 

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