Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 13 septembre 2011

DE L'USAGE ELECTORALISTE DES CONDOLEANCES...

NB : Le texte qui suit a été publié dans "Le Nouvel Horizon" du 2 septembre 2011

Jamais encore au Sénégal un président de la République n’avait eu cette idée de génie : se servir de la cérémonie rituelle, et quasi mythique dans notre pays, que constitue la présentation de condoléances comme d’un artifice électoral pour faire remonter une popularité déclinante ! C’est du génie parce que la mort est un filon inépuisable, un évènement qui ne connait pas la crise, et que pour peu que le chargé des nécrologies au Palais reste à l’affut de ce qu’en pulaar on appelle « l’inévitable paix », le Chef de l’Etat a de quoi s’occuper jusqu’aux prochaines élections. En l’espace de quelques semaines, il s’est donc plié à cet exercice productif, plus souvent qu’il ne l’a jamais fait jusqu’ici, plus fréquemment que Diouf en dix ans. Ces déplacements intempestifs et médiatisés ne sont pas l’expression d’une compassion à fleur de peau, ils constituent le lancement prématuré d’une campagne électorale. Le Président de la République ne se déplace pas pour rendre hommage à des personnalités publiques, à d’illustres serviteurs de l’Etat, il n’exerce pas sa mission de premier citoyen du pays, chargé donc de mettre en exergue les services rendus à la nation. La démarche est à la fois privée et sélective. Mais d’une certaine manière, les morts eux-mêmes ne sont pas la première préoccupation, ce sont les vivants qui sont la cible de ce marketing, ceux qui reçoivent les condoléances et dont on attend en retour qu’ils manifestent avec ostentation leur engagement à renvoyer l’ascenseur à leur illustre hôte, à la première occasion, et pourquoi pas justement aux présidentielles de 2012 ? Ils ne sont donc pas choisis au hasard : ils sont « communicateurs », porteurs de voix, alliés trahis ou abandonnés et qu’on compte reconquérir, des hommes et des femmes d’influence dont les voix, le ndigel pour certains, peuvent peser sur la balance électorale. Le rituel de cette tournée des deuils, est immuable et éminemment politicien.

Il y a d’abord le cortège de motards, de limousines et de courtisans : ces visites-là, toutes privées qu’elles soient, ne se font pas dans la discrétion, la nuit ou en catimini, il faut au contraire montrer que c’est la République qui se déplace dans toute sa munificence. On attend évidemment des hôtes qu’ils ameutent le ban et l’arrière ban de leurs relations pour que la manifestation ne passe pas inaperçue.

Il y aussi ce qu’on appelle pudiquement au Sénégal les « enveloppes » qui sont loin d’être destinées à recevoir des timbres et qu’on enfonce précieusement dans la poche pour en vérifier le contenu à l’abri des regards. Sans garantie que le montant reçu soit le montant annoncé : depuis l’affaire Segura, on sait que les remplisseurs d’enveloppes du Palais n’ont pas la rigueur d’une caissière de la City Bank. C’est en somme au petit bonheur (la chance)…

Il y a enfin les discours, écrits ou pour le moins inspirés par le donateur, qui transforment vite le deuil en « xawaare ». Mais au diable la tristesse : c’est à l’aune des éloges que l’on fait à l’illustre hôte que sera calculée la récompense, et les médias d’Etat, caisse de résonnance du pouvoir, porteront leurs mots dans tous les foyers. L’expérience a montré qu’un éloge bien envoyé peut valoir à son auteur un poste ministériel ! On peut donc dire, en reprenant les termes d’une publicité bien connue, que les logorrhées qui accompagnent ces cérémonies ne coûtent pas cher, sinon l’honneur, qui n’est plus dans notre pays qu’une denrée bien démonétisée, et qu’elles peuvent rapporter gros.

Hélas, il n’y a pas que le M23 qui complote contre le pouvoir : en déversant ses vannes sur Dakar, le Ciel lui-même a saboté ce qui devait être la mère de ces « condoléances-movies » et rassembler, nous avait-on promis, un million de personnes, ou mieux encore, un million de voix.

Mais les condoléances ne sont, peut-être, qu’une étape. Si d’aventure ces escapades mortifères s’avéraient insuffisantes pour combler le gap de voix qui s’élargit tous les jours avec la défection des souteneurs et des alliés, peut-être que les stratèges du Palais en viendront un jour à élargir l’assiette des visites présidentielles : le Chef de l’Etat pourrait ainsi se rendre aux baptêmes et aux mariages, avec cet avantage que nul ne serait tenu d’afficher une mine éplorée et qu’on peut convoquer le sabar sans mauvaise conscience. D’ores et déjà, il multiplie les cibles en conviant à son bureau des personnalités issues de tous les milieux et de tous les bords. Dans les six mois qui nous séparent des élections, il ne serait pas étonnant que le Palais soit si encombré de visiteurs alléchés que cela nécessite la mise en place d’une brigade spéciale de gendarmerie. Le président ne vient-il pas de couvrir de présents un lutteur, non pas un champion blanchi sous le harnais et qui se prépare à une retraite désargentée, mais un jeune espoir qui a la vie devant lui et dont il a brisé les ailes en compromettant sa réputation. L’intéressé a du reste compris sa bourde en revenant sur ses premières déclarations. Sur la même lancée, le Président a accueilli à sa table royale deux cents imams, dont aucun n’est dans le besoin, et dont chacun serait ressorti du Palais les poches lestées de 250 000 F minimum selon la presse. A titre de comparaison, le coût global de cette agape représenterait trois mois de fonctionnement de l’hôpital de Ziguinchor dont le budget n’a pas augmenté depuis dix ans. Le film de ce festin, au soir d’une journée censée être un moment de privation et de sacrifice, diffusé en même temps que les images montrant le désarroi, la grande détresse, des milliers de sinistrés des banlieues et des régions, est d’une cruelle indécence.

Il y a au moins un record que notre pays n’est pas prêt de perdre : c’est celui du montant qu’un Président élu démocratiquement peut consacrer à des libéralités dont aucune ne répond à une urgence…

Et pourtant, on a bien tort de faire porter la responsabilité de ces dérives au seul Chef de l’Etat. Le vrai problème, c’est qu’aujourd’hui, au Sénégal, on ne se bat plus pour la justice, on se bat pour des privilèges, et que Wade est convaincu que tous les Sénégalais sont à vendre. C’est le propre des fins de règne : il faut prendre sa part avant le déluge, s’octroyer une assurance tous risques contre des changements que l’on sait inéluctables. Le Chef de l’Etat n’a plus les moyens de dire non et tous ceux qui, bousculant toute hiérarchie, se précipitent dans son bureau ou dans sa salle des banquets, jouent sur cette corde. La gangrène a gagné tous les corps de métiers et tous les pans de la société, y compris les plus improbables. Lorsqu’une congrégation qui a l’ambition de constituer un 4e pouvoir et qui, dans sa majorité, ne ménage guère le chef de l’exécutif, soutire néanmoins à celui-ci des dérogations qu’il ne peut accorder à d’autres corps de métiers, elle participe à installer l’injustice et à décrédibiliser l’effort et la rigueur. Pire, peut-être, elle devient redevable de celui dont elle est censée contrôler l’action et n’a plus que le choix entre l’ingratitude et une indulgence coupable.

C’est pour cela que l’enjeu des élections présidentielles de février 2012 ne doit pas se réduire à remplacer un homme par un autre, quelles que soient les qualités de ce dernier. Elles doivent ouvrir la voie à un réarmement moral des gouvernants comme des citoyens de ce pays. C’est pour cela que nous rêvons d’une Société pour la Propreté du Sénégal, non pour ramasser des ordures, mais qui aurait l’ambition de nous débarrasser de toutes les pollutions qui rendent irrespirable l’atmosphère politique et sociale du Sénégal…et de la mauvaise conscience innocente qui menace de nous étouffer.

1 commentaire:

Cheikh kane a dit…

Dans ce pays, les politiciens sont prêts à tout pour se tailler une place dans la conscience des électeurs. C'est très honteux vu les moyens utilisés pour y parvenir. Très pertinent votre article!!!