Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 26 mai 2009

WADE ET LE HACHIS PARMENTIER

Comment expliquer qu’après neuf ans d’exercice du pouvoir, le président Wade commette toujours des bourdes aussi monumentales que celle qui consiste à démettre un ministre de la trempe de Ousmane Ngom et à le rappeler sans explication soixante douze heures plus tard, ou à arracher un homme à sa vie douillette de chef d’entreprise pour le porter au devant de la scène publique, et, sans ménagement pour ses proches, le renvoyer dans l’ombre ? Comment surtout comprendre que le président de la République ne sache toujours pas comment composer l’architecture d’un cabinet ministériel, comment répartir les tâches de ses ministres dans des départements qui soient équilibrés homogènes, harmonieux, transparents, solidaires et efficaces, qui ne soient pas susceptibles de générer des conflits d’intérêts ou de compétences ? Les gouvernements de Wade se succèdent et se ressemblent, ils sont comme un hachis Parmentier[1] : conçus pour une clientèle peu exigeante et destinés à parer au plus pressé, ils paraissent improvisés, ils savent accommoder les restes et s’adaptent à une situation de rareté d’idées. Malheureusement, à la différence du célèbre apothicaire, Wade fait des compositions indigestes : trop de graisses par ci, trop d’épices par là, trop de saveurs incompatibles. Il n’a toujours pas retenu qu’un département ministériel, c’est une famille de programmes, une structure dynamique, un assemblage de responsabilités complémentaires, un outil de développement qui réunit des préoccupations centrées sur un même objectif. Dans ses ministères, les départements, les directions tirent souvent à hue et à dia, il n’y a souvent aucun lien structurel entre eux parce qu’ils sont construits autour d’une personnalité et non autour d’un projet. Ainsi en est-il tout particulièrement du ministère confié à Karim Wade[2]. Non content de débuter sa carrière politique par le sommet et sans avoir jamais exercé de responsabilité administrative dans notre pays (l’Anoci était un programme à statut très particulier et à durée limitée et non une administration permanente), le jeune homme va faire son apprentissage en exerçant son autorité sur des secteurs potentiellement « juteux », pillés sur d’autres départements et qui à priori n’ont aucun lien de parenté. Il a donc pris un peu à Ch.T. Gadio, car personne ne nous fera croire qu’un monde sépare les Affaires étrangères et la Coopération internationale, sinon que les premières doivent se conformer aux conventions diplomatiques plutôt rigides, et que la seconde est conçue pour n’avoir pour cibles que des institutions de moindre envergure, plus souples et moins regardantes. Au nom de la même boulimie, il a aussi piqué quelques compétences traditionnelles aux ministères des Finances ou de l’Intérieur, certaines de ses prérogatives impliquant nécessairement les moyens matériels et humains de ces départements. Mais, surtout, il a défenestré Habib Sy pour s’emparer de la part la plus prestigieuse de son ancien ministère : à lui de déterminer la politique des infrastructures et les priorités en matière de communication, ses collègues confinés aux Transports auront à gérer les humeurs des conducteurs de « ndiaga ndiaye » et les difficultés du Petit train bleu puisque notre réseau de chemin de fer se réduit à cette ligne. Enfin, on lui a servi le meilleur : le transport aérien, qui se confond en fait avec l’aéroport de Dakar. Diantre, on ne va tout de même pas confier aux ministres d’en-bas le nébuleux et mirifique dossier Blaise Diagne ! Pour tout dire, dans cet énorme conglomérat que constitue ce département, les chefs de services et les directeurs peuvent s’ignorer et même ne jamais se rencontrer puisqu’au fond ils ne servent pas la même cause mais seulement le même homme. Senghor et Diouf avaient confié des responsabilités ministérielles à leurs neveu et frère, respectivement, mais ceux-ci avaient d’abord dû se faire des griffes sur des postes modestes. A Karim on demande d’arriver au but sans avoir fait le chemin. Il n’est pas ministre, il est en réalité le chef d’un mini gouvernement à l’intérieur du Gouvernement, avec des responsabilités d’autant plus fortes que lui, peut, après le conseil des ministres poursuivre le débat, avec son père, autour de la table familiale. Il lui suffira de lever quelques blocages (ex : Air Sénégal International), grâce à sa proximité avec le Chef de l’Etat, pour donner l’impression d’être plus efficace que ses prédécesseurs.

L’incongruité de ce super ministère n’est pas la seule curiosité du nouveau Gouvernement. Le département attribué à la fantomatique ex directrice de l’Agence de la Case des tout petits
[3] est, à une moindre échelle, tout aussi énigmatique puisqu’il mêle la petite enfance à la microfinance, le genre à la sécurité alimentaire. On observera que dans le gouvernement sortant, l’enseignement secondaire ne partageait pas le même ministre que l’enseignement moyen, pour la première fois dans l’histoire du Sénégal indépendant, que dans celui-ci l’éducation préscolaire, celle qui peut orienter toute la vie, n’est pas sous l’autorité du ministre de l’Education, la pêche et la pisciculture restent toujours séparées. La « Micro finance » est accolée tantôt à la « Coopération décentralisée », tantôt à l’ « Entreprenariat féminin » et « l’Artisanat » se balade du « Commerce » aux « Emigrés, avant de revenir au « Tourisme » : de toute évidence Wade n’imagine pas que dans nos pays, un déménagement administratif est pire qu’un incendie et qu’un changement d’intitulé coûte de l’argent !
Les gouvernements Wade reposent aussi sur une confusion entre le rêve, généreux mais naïf, et la réalité du terrain, ils confondent l’apéritif et le plat de résistance et c’est précisément pour cela qu’ils sont toujours pléthoriques. La « Transformation alimentaire des produits agricoles » pourrait être, au mieux, un projet, elle ne peut pas faire la matière d’un département ministériel. C’est peut-être pour ne pas se résoudre à créer une direction du Décorticage (ou de la Cuisson) que le gouvernement a été contraint de gommer la sinécure créée ex nihilo pour la maire de Bambey (pour la récompenser de son zèle dans la Goana ?). Les mêmes remarques s’appliquent à la « Syndicalisation des agriculteurs » qui est l’un des objets d’un département ministériel, avec cette curiosité que c’est sans doute la première fois au monde qu’un gouvernement décide de créer des syndicats ! Pour les mêmes raisons la « Pédagogie » aurait pu, peut-être, constituer le thème d’un séminaire gouvernemental, mais pas le souci exclusif d’un ministre à temps plein, comme ce fut le cas il y a quelques années. Ce n’est pas étonnant que ces ministères là n’aient qu’une durée de vie très limitée.
Enfin, et ce n’est pas le moins significatif, le morcellement et l’imprécision des intitulés ministériels nuisent en fin de compte à la survie des ambitions développées par les gouvernements de Wade dont les innovations ont du mal à prospérer. Il fut un temps où la micro finance (on parlait alors de microcrédit) et l’entreprenariat féminin étaient au cœur d’un département. Ils ne sont pas encore une réalité que déjà ils ne sont plus que des appendices noyés dans le flot des responsabilités dévolues à la seule ministre d’Etat du gouvernement. Ils ne seront pas sa préoccupation principale car ils seront écrasés par le poids de l’assistance sociale qui est la véritable raison d’être de ce ministère considéré comme celui de la charité et de la générosité, intéressée, du chef de l’Etat. Les effets collatéraux d’un mauvais casting ne feront qu’accroitre le désarroi et les frustrations de ceux qui s’étaient investis dans ces programmes. Les ministères de la « Pédagogie », de la « Compétitivité et de la Bonne Gouvernance », du « Cadre de vie », etc. ont disparu des tablettes gouvernementales et avec eux, sans doute, les acquis, les compétences, l’expertise, que leurs titulaires et leurs équipes auraient accumulés durant leurs brefs mandats.
Voila pourquoi le wadisme tourne en rond et voila pourquoi, neuf ans après son arrivée au pouvoir, le président Wade répète toujours les mêmes erreurs et que la formation de ses gouvernements est, comme les chantiers de Thiès : une œuvre jamais achevée…

[1] Le hachis Parmentier est une recette créée, au XVIIIe siècle, par un apothicaire du même nom pour combattre la disette et dans laquelle, les ingrédients, très nombreux (viandes, légumes, fromages…), sont tous coupés et broyés.
[2] Karim Wade est ministre d’Etat, ministre de la Coopération internationale, de l’Aménagement du territoire, des Transports aériens et des Infrastructures !
[3] Elle est ministre d’Etat, ministre de la Famille, de la Solidarité nationale, de la Sécurité alimentaire, de l’Entreprenariat féminin, de la Micro finance et de la Petite enfance. ..

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