Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

vendredi 11 juillet 2008

LA FRANCAFRIQUE EST MORTE ! VIVE LA FRANCAFRIQUE !

A Cotonou, le 19 mai 2006, Nicolas Sarkozy avait pris l’engagement de « parler de tout (avec les Africains), y compris de ce qui est sensible » et, surtout de « parler franchement comme on ne le fait pas souvent entre Français et Africains ». Il avait proclamé qu’il allait « refuser le poids des habitudes » et faire « évoluer au-delà des mots » les rapports franco-africains. Il allait « construire une relation nouvelle, assainie, décomplexée, débarrassée des scories du passé et des obsolescences qui perdurent de part et d’autre ». Bref il annonçait de véritables « changements de fond » qu’il égrenait sans se faire prier.

D’abord, « débarrasser (la relation franco-africaine) des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent ». Il faut, ajoutait Sarkozy, « tourner (définitivement) la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés ».

Autre changement promis à Cotonou : ne plus se « contenter de la seule personnalisation des relations » franco-africaines et revenir au principe selon lequel « les rapports entre des États modernes ne doivent pas dépendre de la qualité des relations personnelles entre les chefs d’états (…), mais du respect des engagements pris » et des intérêts des parties.

Pour sa part, affirmait avec force N. Sarkozy, la France refusera toujours de « transiger sur ses valeurs (que sont) la démocratie, le respect des droits de l’homme et de la bonne gouvernance ». Elle ne se taira jamais devant les « dérives autoritaires ou les comportements arbitraires ».

Pour tout dire, enfin, N. Sarkozy proclamait sa ferme volonté de « débarrasser
[1] la relation France-Afrique de ses fantasmes et des mythes qui la polluent ». Il n’hésitait pas à prendre à parti les Etats qui « disent pis que pendre la France, (et), en coulisses, (sollicitent) une aide budgétaire supplémentaire », ainsi que les chefs d’Etat qui ont « besoin d’un bouc émissaire pour cacher leur propre incurie ».

Déjà à Bamako, le 18 mai, et dans le même élan, il avait promis de ne jamais accepter que « l’aide française puisse devenir une prime à la mauvaise gouvernance et aux mauvais prédateurs ».

Voilà donc les promesses de campagne de N. Sarkozy. Car en 2006, malgré ses prétentions et son ton de donneur de leçons, il n’était encore que le ministre de l’Intérieur de J. Chirac, un candidat probable mais trop pressé aux élections présidentielles. Les promesses, devait-il penser, n’engagent que ceux qui les prennent pour argent comptant… Parmi ceux-ci, il y a eu Jean Marie Bockel, transhumant du PS, auquel Sarkozy avait confié, peut-être sans trop réfléchir, la tutelle de la coopération, et donc la gestion de la Françafrique. M. Bockel, qui piaffait d’impatience et désespérait d’être ministre un jour, a voulu faire du zèle. Il a annoncé la mort prochaine et inéluctable de la Françafrique. Il a morigéné les chefs d’Etats producteurs de pétrole et autres richesses minières, qui encombrent les escaliers de l’Élysée et tendent leurs sébiles, à l’image des affamés du Sahel… La brèche étant ainsi ouverte, les médias, y compris les médias d’Etat, ont éventé les fortunes personnelles de ces Crésus noirs et exposé à la télé leurs châteaux, leurs hôtels particuliers, leurs limousines longtemps cachés à l’opinion française… Alors Monsieur Bongo s’est fâché, et quand Monsieur Bongo se fâche il le fait savoir à sa manière. Il a menacé, son parlement s’est ému, la rue a commencé à gronder à Libreville. M. Bongo c’est, comme qui dirait, la statue du Commandeur de la Françafrique, il y est le plus ancien dans le grade le plus élevé. Cela fait plus de quarante ans qu’il est au pouvoir et Sarkozy est le sixième président français qu’il fréquente. Il a appris, il a aussi rendu service, car si la France subventionne toujours le Gabon, M. Bongo, lui, subventionne d’illustres Français. Il représente pourtant tout ce que pourfendait le candidat Sarkozy, la pièce maîtresse des réseaux franco-africains, un président autocrate, arbitraire, prédateur, ce n’est pas un adepte de la bonne gouvernance et des droits de l’Homme… On le sait en France, on l’a toujours su, mais on le ménage : il est « un ami de la France » ! On a les amis que l’on mérite… Jean Marie Bockel aurait dû savoir tout cela, savoir que le président Bongo mérite des égards. C’est le seul chef d’Etat africain que N. Sarkozy a appelé dès son élection, oubliant déjà ses rodomontades, et ce n’était sans doute pas pour l’engueuler. C’est, enfin, le premier chef d’état africain au sud du Sahara (après l’inévitable escale sénégalaise) auquel le président français a rendu visite, quelques semaines après sa prise de fonction…

Quand M. Bongo se fâche, il règle les comptes. N. Sarkozy a donc dû limoger J.M. Bockel et lui faire avaler son engagement à tuer l’increvable Françafrique. En 1981, Jean Pierre Cot, au même poste, avait été saisi par la même tentation, mais il avait préféré démissionner et quitter la scène politique quand il s’était senti désavoué. M. Bockel a attendu, lui, qu’on le renvoie et son successeur n’a pas tardé à proclamer qu’il s’agissait bien d’une rupture et qu’il ne fallait pas compter sur lui pour rallumer la guerre.

Mais il ne suffisait pas de recadrer J.M. Bockel. Le président français a dû aller à Canossa, envoyer à Libreville le nouveau ministre de la Coopération, dont c’était la première sortie, en le faisant chaperonner par l’homme le plus influent de sa maison, le Secrétaire Général de l’Élysée. On en revient bien à l’ère des « émissaires spéciaux » et à la « personnalisation » des relations franco-africaines. À Libreville, avant d’accueillir le ministre de la France, Bongo avait reçu, en aparté, l’émissaire de Sarkozy, le porteur des secrets et des codes. Devant ses hôtes, comme à son habitude, Bongo ne mâche pas ses mots : ce qui se passe entre les « Grands » échappe aux « petits », les ministres, fussent-ils français, ne boxent pas dans la même catégorie que lui et il ne supportera aucune impertinence…

Voilà donc la Françafrique restaurée dans toute sa splendeur et il y a bien loin de la coupe aux lèvres. Pour sa tournée de propagande, le candidat Sarkozy avait choisi le Mali et le Bénin, emblèmes de la nouvelle démocratie africaine, mais une fois élu, il préférera, sagement, se rendre au Sénégal et au Gabon, qui représentent plutôt les « scories du passé ». Non seulement ses ministres ne sont plus autorisés à parler de « ce qui est sensible », mais ils devront accepter « les complaisances, les secrets et les ambiguïtés ». A Tunis, Rama Yade s’est délestée de ses responsabilités de Secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme et Sarkozy peut proclamer que « l’espace des libertés progresse » dans un pays où les journalistes, les avocats, les opposants sont réduits à l’exil. M. Bongo pourra donc construire sa basilique à 70 milliards F CFA sans soulever l’ire de l’un de ses bailleurs, l’Agence Française de Développement, et au mépris des urgences de son peuple, tout comme naguère, Houphouët-Boigny avait bâti la sienne à Yamoussoukro. M. Biya peut triturer sa constitution à son aise, comme l’avaient fait avant lui MM. Eyadema et Deby. De même qu’elle avait aidé Hissène Habré à écarter Goukouni Oueddei, avant de le faire destituer au profit de Deby, de même la France de Sarkozy vient de sauver le régime à bout de souffle du même Deby contre les coups de boutoir conjugués de l’opposition armée et de militaires issus de la garde présidentielle. C’est une « ingérence à l’ancienne », comme l’écrit un journaliste, et qui démontre que la France demeure le gendarme et le mentor des pays africains francophones.

Enfin, on ne peut pas manquer d’observer que le retour de la Françafrique, c’est aussi le retour du mépris et de la condescendance. En mai 2006, à Cotonou, Sarkozy avait salué « l’Afrique ancrée dans le XXIe siècle » ; en Juillet 2007, à Dakar, il avait insulté les Africains qui, selon lui, « n’étaient assez entrés dans l’Histoire ». A Capetown, quelques mois plus tard, il annonce son intention de remettre en cause les accords de défense qui lient la France et ses anciennes colonies. Cela concerne précisément Dakar et Libreville où il n’en a pas soufflé mot et les Sud-Africains n’y comprennent rien. Mais qu’importe ! Pretoria est une puissance qu’il faut ménager, un marché attractif. C’est aux partenaires, et non aux obligés, qu’on s’entretient des choses sérieuses !

Fadel Dia
[1] Décidément !

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