Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

lundi 2 février 2009

MAMADOU DIA, L'ICONOCLASTE

En ces temps de sécheresse éthique et de doutes, la mort du président Mamadou Dia est certes un triste et émouvant évènement, mais c’est aussi une opportunité pour rassurer les cœurs meurtris des Sénégalais. Oui, il y a bien eu un fils de ce pays qui avait une foi inébranlable, un patriote qui prenait fait et cause pour son pays à toutes les occasions, et pour ses amis et sa famille seulement quand ils avaient raison.
Cet homme-là a résisté à la griserie du pouvoir, a gardé intacts son engagement et sa probité, a refusé de répondre à l’appel des sirènes démagogues, avant et après l’Alternance. Sa très longue vie est parsemée de gestes qui sont autant d’actes de défi : aux compromissions sociales, aux pouvoirs occultes, aux puissances tutélaires visibles ou sournoises. Son parcours politique, sa vie tout simplement, son automne et son hiver d’homme libre, resteront parmi les plus belles pages de notre histoire.
Rebelle et entier il l’était déjà avant d’entrer en politique.
A l’époque où la règle était de se plier aux conventions, de se soumettre au diktat des convenances, il avait décidé, tout jeune homme, de choisir librement sa compagne, quitte à se faire jeter sur le banc des réprouvés. Plus de soixante dix-ans de vie commune prouvent qu’il avait eu raison sur ses détracteurs.
A l’époque où l’on refusait les droits les plus élémentaires à des « sujets » comme lui, il fit de son métier d’enseignant le symbole de la lutte contre l’injustice et le mépris, n’hésitant pas à bousculer, de la parole et de la main, les représentants de l’administration coloniale qui tentaient de maintenir ces iniquités …
Ce n’est pas lui qui est allé à la politique, c’est la politique qui est allée le chercher et ce sont ses concitoyens qui lui ont imposé le devoir de les défendre et de les représenter. Dès lors, sa vie se confondra avec son engagement politique, marqué par un courage que lui reconnaitront même ses ennemis et dont sa famille payera le prix. Son ambition, ce sera toujours de servir et non de se servir, et ce n’est pas lui qui comparera le poste le plus élevé de l’Etat à un « plat de riz ». Ce fut au contraire pour lui un sacerdoce, certes exaltant, mais éprouvant et ingrat. La politique, il ne l’apprendra pas dans les livres, mais sur les routes et dans les veillées, au contact des paysans et des syndicats et sa carte de visite comporte plus de combats gagnés que de parchemins.
Cet homme-la, s’il savait récompenser, savait aussi sévir, ses proches en savent quelque chose. Il n’était pas du genre à projeter ses enfants sur le devant de la scène, à leur accorder des prêts à échéance indéterminée, à imposer à son entourage de se soumettre à leurs fantaisies ou à leur promettre le trône pour leur 45e anniversaire. Il est vrai qu’en ces temps-là, les promotions se méritaient, un chômeur avait peu de chances d’avoir le poste de ministre comme premier emploi, un garçon commissionnaire de devenir un dindon pontifiant.
Il tint tête aux puissances d’argent, aux chefs traditionnels et religieux, aux communicateurs et aux gourous : chacun à sa place et les vaches seront bien gardées !
Il agaça De Gaulle par son indépendance d’esprit et sa liberté d’expression. Mais, lorsque le Général décida de rendre à l’Algérie son indépendance, il eut l’honnêteté de lui en donner la primeur en reconnaissance de ses conseils judicieux.
Cet homme-là avait, verrouillées au corps, deux grandes forces : sa foi et son culte de l’amitié qui ne le quitteront pas jusqu’à la fin de sa vie. Il servit de bouclier à L.S. Senghor contre les exigences des « Soudanais », avec lesquels pourtant il était plus proche au plan des idées et dans les rapports avec l’ancienne métropole. Il accepta le cœur meurtri de conduire ceux qui, comme lui, avaient pris le parti de rester fidèles aux institutions et attendit calmement dans sa maison, désarmé mais confiant, que ses adversaires, qui avaient usé de moyens dont il n’avait pas accepté de se servir, viennent s’emparer de sa personne. Il fit face à ses juges, assumant sa pleine responsabilité, et, paradoxe de l’histoire, il a survécu à tous les protagonistes du procès qui l’avait condamné à mort (à une exception près ?). Dans sa geôle, coupé de tout, sauf de sa foi, douze ans durant, il restera fidèle à ses principes et refusera le marché consistant à lui accorder la liberté contre un renoncement à la vie politique. Mais, au nom toujours de cet attachement à l’amitié, il n’hésitera pas à sa sortie de prison à tendre la main à son geôlier et à lui offrir son pardon. Il ne connaissait ni l’amertume ni la vengeance et jamais, jusqu’à la fin de sa vie, il n’accabla Senghor ni ne renia les années de braise qu’ils avaient passées côte à côte, à tenter de bâtir une nation et à éveiller la conscience populaire. Quelquefois au grand dam de ses propres amis... Au soir de sa vie, il sut résister au naufrage que De Gaulle avait prédit aux vieillards : par la parole, par l’écrit, par le souffle qui le tenait en vie, il restera toujours le « Maodo », le « Grand », inébranlable, entier, plein de sève nourricière, de rêves et de projets…
Comment expliquer cette immense foule dans laquelle étaient présents beaucoup de jeunes, qui, dimanche, l’a accompagné dans sa dernière demeure, alors que depuis plus de 45 ans il n’exerçait plus aucune fonction publique ?
Avec lui, nous aurions été sans doute contraints à l’effort et au sacrifice, mais nous aurions été guéris de nos maux que sont l’indiscipline, le laisser aller, la tortuosité…
Mamadou Dia n’a été Président du Conseil, donc véritable chef de l’Exécutif du Sénégal indépendant, que pendant moins de deux ans. Mais il laissera dans nos cœurs et dans notre histoire plus de traces que tous ceux qui à ce jour ont exercé les plus hautes responsabilités dans ce pays. Certains veulent durer, lui restera…