Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 13 janvier 2009

J'AI SURVECU A ZAM ZAM...

Si le premier devoir d’un gouvernement est de préserver la vie et d’assurer la sécurité des biens des populations sur lesquelles il exerce son autorité, alors les premiers responsables de ce pays ont failli à l’une de leurs missions essentielles en octroyant à la fantomatique société ZamZam le monopole – juteux - de l’acheminement des pèlerins sénégalais aux Lieux Saints de l’Islam.
D’abord ZamZam existe-t-elle même ? En tout cas, elle est invisible à l’aéroport des pèlerins de Jiddah. Il n’y a aucun comptoir à son nom, aucune enseigne publicitaire pour vanter ses performances. Aucun de ses représentants n’est venu s’enquérir de nos malheurs après des heures d’attente et d’errance dans l’aéroport ni offrir ses services ou une compensation.
Si ZamZam existe, alors ce n’est sûrement pas une compagnie aérienne : on n’a vu à Jiddah aucune flotte portant sa marque, aucun uniforme de pilote ou de steward à son enseigne et le traitement des passagers est sous-traité à d’autres sociétés. Le DC10, l’unique avion qu’elle a surexploité tout au long du pèlerinage, ne porte aucune griffe, il est anonyme pour ne pas dire banalisé, brouillé, maquillé, pour cacher ses rides comme une vieille maquerelle. Il semble avoir été précipitamment sorti d’un hangar de remise, d’un purgatoire d’avions, et avoir été aménagé à la va-vite pour une ultime mission. A l’intérieur de l’aéronef, il n’y a non plus nulle mention de ZamZam et la pochette située à l’arrière des sièges ne porte qu’un seul document, la fiche technique réglementaire …établie au nom d’une autre société, Nasrair. On n’est pas très sûr qu’il y ait bien un gilet de sauvetage sous les sièges, mais on est vite convaincu qu’il ne faut guère compter sur ces petites commodités qui font le charme des avions de ligne, oreillers et autres couvertures… Mais le pire est à venir. A bord du DC10 de ZamZam, on vous sert comme petit déjeuner, à 6h du matin …du riz à la viande, le même, à peu de choses près, qu’on vous avait servi à diner, quelques heures plus tôt. Mépris culturel pour le Sénégalais friand de « Tangana » ? Non : simple défaillance technique ! En effet à bord du DC10, il n’y a pas d’eau chaude. « La machine est en panne », nous avait-on expliqué le 15 novembre lors du premier vol : elle était toujours en panne 40 jours plus tard, lors de notre vol retour. Ce n’est donc pas une panne, c’est l’installation même qui fait défaut, comme si l’avion avait été reconverti à un autre usage que le transport de passagers. Le résultat c’est qu’à bord du DC10 de ZamZam, aucun passager n’a jamais eu droit à une tasse de café ou de thé.
Autre paradoxe : dans cet avion affrété pour le transport exclusif de pèlerins sénégalais musulmans, aucun membre de l’équipage, du commandant de bord aux hôtesses, ne peut s’exprimer en français ou à fortiori, dans nos langues nationales, aucun du reste n’est musulman. L’équipage est, nous dit-on, « international », en réalité presque exclusivement sud-africain, et toutes les informations données à bord, sur les dispositions sécuritaires comme sur le plan de vol, sont distribuées en anglais, exclusivement, et donc incomprises de la quasi-totalité des passagers. Personne ne saurait quelles dispositions il faut prendre en cas d’accident !
Sur les lignes ZamZam, les heures de départ et d’arrivée, le plan de vol, restent un mystère. Convoqués pour un vol à 12h locales à Jiddah, nous avons été réveillés à la Mecque à 3h du matin et convoyés sur l’aéroport sans avoir déjeuné. Après bien des péripéties, nous sommes quand même parvenus à la salle d’embarquement avant midi … pour constater qu’il n’y avait ni avion ni même interlocuteur pour nous informer ou nous prendre en charge. Après plusieurs heures d’attente, nous avons été sommés de libérer la salle d’embarquement et acheminés vers un avion. C’était bien l’inusable DC10, mais il n’était pas prêt à décoller et n’était en fait qu’une salle d’attente de substitution dans laquelle nous allions rester enfermés pendant 4 heures dans des conditions insupportables : la climatisation est arrêtée et le verre d’eau distribué avec parcimonie. Le prolongement de l’attente, l’absence des opérateurs en titre, le silence du personnel navigant, le va et vient autour de l’avion… font bientôt naître l’inquiétude puis la panique au sein des passagers qui subodorent des difficultés « d’ordre technique et mécanique ». Certains, paniqués, quittent l’aéronef, d’autres alertent leurs familles, voire la presse pour les préparer à une catastrophe.
Après le brouhaha, les conciliabules, les crises d’hystérie, les litanies fatalistes, les sermons à la sénégalaise et 4 heures de souffrance, nous décollons enfin de Jiddah. Au total, entre le moment ou nous avons été embarqués dans le DC10 et l’arrivée à Dakar, après une longue escale à Tripoli, il s’écoulera 17 heures !
Mais au moins, nous sommes arrivés sains et saufs. Car la préoccupation des passagers des vols ZamZam n’était plus, depuis longtemps, la ponctualité ou le confort, mais tout simplement la survie, l’espoir de sortir vivants d’un périple devenu cauchemardesque.
Et ils demandent des comptes.
Comment un pays qui, comme le Sénégal, a vécu le drame du Joola, qui a payé aussi chèrement le prix de son imprévoyance et de son irresponsabilité, peut-il encore jouer avec la vie de ses enfants? En confiant leur sort à un aéronef dont la traçabilité est douteuse, dont le modèle n’est plus fabriqué depuis 20 ans et ne figure plus dans le parc des compagnies aériennes les plus performantes ? Comment un gouvernement soucieux des intérêts de ses citoyens, peut-il retirer à sa compagnie nationale un marché dans lequel elle s’était investi et avait accumulé une expérience certaine, et qui pouvait constituer pour elle une occasion de se refaire une santé, pour le refiler à une société étrangère qui est, au mieux, une officine de voyage, peut-être une entreprise informelle et improvisée, une sorte de Dakar-Dem-Dikk de l’air, aussi floue qu’elle est vulnérable?
Comment un Ministre investi de la sécurité des transports, un Chef d’État qui détient tous les pouvoirs, peuvent-ils avec autant d’arrogance et de mauvaise foi, nier l’évidence et laisser se poursuivre une opération qui, dès ses premiers jours, a frôlé la catastrophe ?
Dans cette aventure qu’a constitué le pèlerinage 2008 notre gouvernement a perdu toute crédibilité quant à son engagement à défendre les intérêts supérieurs des sénégalais.
Mais il aura perdu ce qui est, peut-être, à ses yeux, le plus important : l’occasion de faire de petits profits, de spéculer au dépens des citoyens. Cette fois-ci, il a joué et perdu puisqu’il lui a fallu non seulement louer deux avions pour compenser les défaillances de ZamZam, mais aussi appeler au secours AIR-SENEGAL-INTERNATIONAL que l’on avait écarté sans ménagement.
C’est ce qu’on appelle « Niakk diis, niakk lestek ».