Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

vendredi 24 octobre 2008

OBAMANIA ET LE SYNDROME DE PETER DES NOIRS DE FRANCE

80% des Français voteraient Obama ...s'ils avaient accès aux élections présidentielles américaines. Quatre Français sur cinq souhaiteraient donc qu'en 2009, les rênes de la première puissance mondiale soient entre les mains d'un Américain « issu de l'immigration », puisque Barack Obama est de père Kenyan et que sa grand-mère n'a pratiquement jamais quitté son plateau d'Afrique orientale.

Belle ouverture d'esprit ? Étrange mansuétude en vérité, car combien de Français seraient prêts à accepter aujourd'hui qu'un de leurs concitoyens « produit de l'immigration » soit porté à la tête de la République Française? Le fils (ou la fille) d'un Rwandais (le Kenya n'étant pas une colonie américaine non plus) ou d'un Harki Algérien à l'Élysée ? Conjecture chimérique, pure fiction ! Un Français d'origine antillaise ou réunionnaise, donc un Français « authentique », citoyen français avant les habitants de Nice ou de la Savoie, à la tête de a République égalitaire et démocratique ? C'est tout aussi improbable.

Barack Obama le chouchou (le joujou ?) des Français était pourtant un parfait inconnu il y a seulement deux ou trois ans. Il a conquis l'opinion d'une majorité d'Américains sans même avoir réussi une prouesse quelconque, sans avoir eu besoin de briller dans un domaine particulier, le sport, les arts ou la science. Ses seules armes étaient son éloquence et sa force de persuasion. Il n'avait exercé aucune haute responsabilité politique et son principal adversaire a même construit tout son argumentaire sur ce manque d'expérience.

On peut dire qu'il est parti de rien.

Il y a en France des Français « noirs » déjà connus de la majorité de leurs concitoyens, qui ont par exemple porté haut la flamme française. Mais, malgré cette célébrité déjà acquise, un Stéphane Diagana, un Lillian Thuram, un Yannick Noah, ont-ils une chance d'emporter l'adhésion de la majorité des Français s'ils s'engageaient dans une compétition électorale nationale, quelle que soit par ailleurs la pertinence de leur programme électoral ? On me dira que le mode de désignation d'un candidat aux élections présidentielles n'est pas le même aux États-Unis qu'en France, mais il n'y a pas que cela.

Yannick Noah, la personnalité préférée des Français, conserverait-il ce privilège s'il lui prenait le goût de tenter l'aventure, de quitter son domaine de compétence (le sport, la musique) et de s'immiscer dans l'action politique, s'il sollicitait le droit de régenter la vie des Français ?

La réalité c'est que les Français sont prêts a élire Obama président ...mais des États-Unis. S'ils sont nombreux à saluer l'extraordinaire évènement, le tournant décisif que constitue déjà la nomination d'Obama au poste de candidat du parti démocrate, ils ne sont pas, pour leur part, prêts à porter à la tête de la France un homme noir, né d'un père africain et musulman de surcroît, avec un nom barbare qui sonne mal avec les racines chrétiennes que beaucoup, à commencer par le président Sarkozy, voudraient régénérer.

Pourtant les États-Unis viennent de si loin.

Rappelez-vous ! Il y a à peine cinquante ans, on s'y entretuait pour imposer l'égalité entre Blancs et Noirs. Dans certains de ses Etats, les Noirs n'avaient pas le droit d'occuper une place assise dans le bus, ni de fréquenter une université blanche. James Meredith était escorté par la police pour aller suivre ses cours dans l'université de son choix. Rosa Parks avait risqué d'être lynchée pour avoir refusé de céder sa place à un blanc et failli conduire à la ruine les transports publics de sa ville. L'actrice Joan Fontaine avait choqué les bien-pensants pour avoir tenu la main de Harry Belafonte dans un film dont l'action se déroulait aux Antilles. Il y a quarante ans, on assassinait un homme qui avait la prétention de vouloir lever ces interdits et de détruire ces barrières. Pour les Américains de cette époque, la France c'était au contraire le pays du respect de l'égalité et de la liberté. Richard Wright et Sydney Bechet y trouvaient refuge. Sartre et Picasso y encensaient la Négritude. L. Senghor et F. Houphouët-Boigny étaient députés au Palais Bourbon.

En un demi siècle la situation a changé fondamentalement. C'est aux États-Unis que l'égalité des chances entre Blancs et Noirs, indigènes et produits de l'immigration, est la plus forte, au moins au plan de l'expression politique. Des lois nouvelles y ont été votées et là-bas, les lois s'imposent à tous, tout naturellement. La force des Américains, c'est qu'ils prennent compte des réalités et qu'ils font avec. Les lois sont donc acceptées et appliquées parce qu'elles sont l'émanation de la volonté populaire. La force des Américains, c'est aussi qu'ils sont toujours à la conquête de nouvelles frontières, de nouvelles libertés, de nouveaux droits. Les Américains qui votent Obama, expriment par la même occasion leur volonté d'imposer de nouvelles concessions, des sacrifices nouveaux, une plus grande humanité et moins d'arrogance...

Le « miracle Obama » n'est pas né en un jour. Son ascension au poste de candidat aux élections présidentielles, il y a trois ans, n'était pas le premier signe du changement, c'était l'aboutissement d'un long processus voulu par la population et imposé aux plus récalcitrants. Douze ans après les lois raciales, il y avait déjà dans le proche entourage du président des États-Unis, un « Africain-Américain », un Noir brillant, influent, Andrew Young qui occupa les postes très exposés d'ambassadeur des États-Unis à l'ONU, puis de conseiller auprès du président Carter. L'ascension d'un Noir à ce poste de responsabilité s'était faite si facilement qu'elle semblait s'imposer d'elle-même. Moins d'un quart de siècle plus tard, le pays connaît une étape décisive avec l'arrivée d'un Américain noir « issu de l'immigration » au poste prestigieux de Secrétaire d'État, le troisième dans la hiérarchie de l'exécutif Américain. Non seulement cela n'a choqué personne, mais on peut dire que depuis huit ans, ce poste est devenu une chasse gardée des Noirs Américains, le Général Powell ayant en effet cédé sa place à Condoleeza Rice qui a la double originalité d'être femme et noire. Rama Yade, Christiane Taubira, Premiers Ministres de la République Française ? On en rêve !

Car en matière de promotion de son élite d'origine africaine, la France a fait plutôt un pas en arrière. Le pays qui s'enorgueillissait d'être « la patrie des droits de l'Homme » et qui en 1789 avait proclamé l'égalité de tous les hommes, quelles que soient leur race et leur religion, n'offre plus qu'un sombre escalier à ses citoyens d'origine africaine qui veulent accéder aux plus hauts postes de l'État.

En 1931 il avait porté Blaise Diagne, député du Sénégal, né à Gorée, au rang de Sous-Secrétaire d'État aux colonies. C'était le premier noir à occuper un poste dans un gouvernement en France. En 1945, il avait accordé la pleine citoyenneté aux habitants de ses colonies d'Afrique et par la même occasion le droit d'envoyer des représentants au parlement français. Dix ans plus tard, l'un de ces représentants, le sénégalais L.S. Senghor est nommé Secrétaire d'État à la présidence du Conseil dans le gouvernement Edgar Faure.

Apres l'arrivée de De Gaulle au pouvoir et l'amorce d'une sorte de confédération franco-africaine,les Africains feront une entrée en force dans le gouvernement français : trois d'entre eux (L. Senghor, F. Houphouët-Boigny, Ph. Tsiranana) siègent dans le gouvernement Michel Debré en 1959. Certes, ils n'occupaient que des postes de ministres-conseillers sans véritable attribution, certes ce n'était que des strapontins, de la simple figuration, mais c'était tout de même une révolution de voir siéger dans un gouvernement français des hommes qui n'étaient que des « sujets » quinze ans auparavant.

En tout cas, ce ne furent que de brèves apparitions
[1] et la France s'est à nouveau recroquevillée dans son hexagone. Les Noirs d'Afrique qui avaient opté pour la nationalité française, et surtout les Noirs d'origine antillaise, sont depuis cinquante ans exclus de la table du conseil des ministres de la France. A quelques exceptions prés, qui sont aussi rares que significatives.

C'est seulement après un quart de siècle d'existence que la Ve République se résolut a faire siéger un Antillais dans son conseil des ministres. Roger Bambuck, qui ouvrit le bal, n'était que Secrétaire d'État (encore!) à la Jeunesse et aux Sports (évidemment) auprès du (déjà) très envahissant Lionel Jospin, dans le gouvernement Rocard. Sa célébrité avait précédé sa nomination et c'est principalement à la gloire acquise dans le sport qu'il doit celle-ci. Il ne sera qu'un fictif porte-drapeau.

C'est à près de soixante ans que Lucette Michaud-Chevry fit, elle, son entrée dans le gouvernement Chirac en 1986. Elle n'était évidemment que Secrétaire d'État, à la tête d'un département qui n'était pas une priorité pour les Français : la Francophonie. On était alors en pleine expérimentation de cette incongruité de la Ve République qui portera le nom de cohabitation. Mme Michaud-Chevry n'allait de toute évidence pas faire une carrière ministérielle, elle était classée « amie » de Chirac et ce dernier faisait d'une pierre deux coups : faire un pied de nez aux socialistes en leur prouvant qu'ils n'avaient pas le monopole des Antillais, et d'autre part caser une militante pleine d'entregent.

Quand à Koffi Yamgnane, le président Mitterrand ignorait tout de lui lorsqu'il l'a fait nommer Secrétaire d'État (encore !) sur proposition d'un de ses proches. Jusqu'à son sexe ! Mitterand pensait en effet que c'était une « beurette » qui allait apporter quelque couleur à son gouvernement et combler d'aise les amis de Danielle Mitterrand. Il était loin de savoir que c'était un homme et qu'il était du plus beau noir puisqu'il était né au Togo et avait la double nationalité française et togolaise. C'était en tout cas le premier français d'origine africaine à entrer dans un gouvernement en France avec des attributions spécifiées. On était en 1991.

Ministre à part entière c'est donc trop d'honneur pour les Français noirs, qu'ils soient d'origine africaine ou antillaise. La situation est à peine meilleure pour les français d'origine maghrébine. Rachida Dati est en effet la première personnalité d'origine arabe à occuper un poste de ministre en France et elle fait tout pour paraître non représentative de sa famille d'origine, épousant même des attitudes et des comportements susceptibles de heurter celle-ci. Nicolas Sarkozy a, comme elle, un père né à l'étranger mais lui n'est pas « issu de l'immigration ». Il peut exalter ses ascendants grecs ou juifs, Rachida Dati est obligée, elle, de faire croire qu'elle est une française comme les autres.

Les Français d'origine africaine ou antillaise, sont, quant à eux, en attente d'un poste ministériel digne de ce nom. Le palier supérieur reste pour eux celui de secrétaire d'État, comme s'il était le point culminant de leur niveau de compétence, celui ou ils sont atteints par le syndrome de Peter. Mais il n’y a pas que la porte des ministères qui leur soit fermée. On ne les trouve guère non plus dans les hautes sphères de l'armée, de la diplomatie, de l'administration territoriale ou de la justice. Combien sont ils de généraux, d'ambassadeurs de France issus de la communauté noire ? Pourquoi aucun Français noir n'a encore siégé au sein du Conseil Constitutionnel ou du Conseil d'État ? Depuis quarante ans, quatre ou cinq Africains-Américains ont représenté les États-Unis d'Amérique au Sénégal, mais aucun Français noir n'a encore occupé le poste d'ambassadeur de France à Dakar ! La nomination il y a quelques années d'un préfet « issu de l'immigration » (nord-africaine) dans une lointaine province a soulevé tant de bruit que la vie du titulaire du poste en a été considérablement perturbée...

Mais il y a plus grave que la rareté des promotions, c'est le fait qu'aucun membre de la communauté noire ou maghrébine, qui représente prés de 10% de la population française, ne soit jugée digne de représenter les français métropolitains au sein de l'Assemblée Nationale. Ils sont bien quelquefois sur les listes électorales, mais toujours à des places où ils n'ont aucune chance d'être élus. Dans le Parlement élu en 2005, les seuls députés qui déparent la belle harmonie blanche et chrétienne sont des élus d'Outre Mer. Ne dites surtout pas que cet ostracisme est propre à l'Europe. Des hommes, des femmes d'origine indienne, pakistanaise ou antillaise sont élus en Grande Bretagne qui compte même des Lords appartenant à ces communautés. L'Italie, certains pays du nord de l'Europe, qui n'ont pas de tradition coloniale, ont des députés d'origine africaine. Rotterdam, deuxième ville des Pays-Bas, vient d'élire un maire d'origine marocaine, donc issu de l'immigration.

Mais, me direz-vous, il y a bien le cas de Christiane Taubira, candidate aux élections de 2002, six ans avant Obama ! Eh bien parlons-en justement !

La députée de la Guyane avait dû faire preuve d'une belle obstination pour imposer sa candidature, quelquefois contre l'avis de sa propre famille politique. D'une certaine manière, cette candidature arrangeait plutôt ses adversaires, car elle avait le mérite de saucissonner davantage la gauche et de donner à croire, sans grand risque, que la France était une nation tolérante qui ne fait pas la différence entre ses enfants. Le mot d'ordre de la droite c'était en somme « laissez-la concourir, mais gardez-vous de lui donner votre voix ! ». Christiane Taubira n'a pas été ridicule, puisqu'elle a rassemblé autour d'elle près de 2,3% de l'électorat. Mais si l'on y regarde de prés, on voit bien la différence entre d'une part la France métropolitaine où, malgré les voix de la minorité noire, elle n'a séduit que 2% de l'électorat, et d'autre part l'Outre Mer où 13% des électeurs on voté pour elle. Christiane Taubira est belle, intelligente, progressiste, mais les Français lui préfèrent, de loin, Jean Marie Le Pen. Le vote en France reste sinon communautaire, du moins régionaliste et s'il en était ainsi aux États-Unis, jamais Obama ne remporterait des primaires en Nouvelle Angleterre. Avant, peut-être, de gagner les élections présidentielles.


[1] Encore que, curieusement, L. Senghor conservera son titre jusqu'en 1961 alors qu'il était président de la République du Sénégal depuis prés de deux ans. C'est à cette date seulement que sera publié le texte mettant fin à ses fonctions de ministre conseiller. Il en est de même pour ses autres collègues africains.