Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 24 janvier 2017

LES ETATS-UNIS, UNE RÉPUBLIQUE BANANIÈRE ?

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 16 janvier 2017

Comment cela s’appelle un pays qui confie son sort, et indirectement celui du monde, à un homme, multimilliardaire, dont l’équipe gouvernementale, recrutée sur le seul critère de son aisance matérielle, dispose d’une  fortune qui dépasse les revenus cumulés du tiers de sa population (ce qui représente tout de même plus de 120 millions de personnes !), ou  l’équivalent du PIB de 100 pays du monde, un président qui avoue sans honte qu’il  s’est enrichi par des procédés certes légaux mais moralement condamnables parce qu’ils reposent sur l’exploitation des failles de la loi, sur l’art de frauder sans se faire prendre ?

Comment cela s’appelle un pays dont le président, propriétaire d’un groupe aux vastes ramifications internationales, négocie encore des contrats à quelques jours de son investiture officielle, annonce qu’il conservera de fait ses actifs dans ses sociétés, ce que n’avait fait aucun de ses prédécesseurs depuis près d’un demi siècle, refuse donc obstinément de se défaire de ses responsabilités de chef d’entreprises au sein desquelles il exerçait plus de 500 fonctions de premier plan ?

Comment cela s’appelle un pays dont le président, au mépris de toute éthique, confie à des membres de sa famille, tous novices en politique, les fonctions parmi les plus importantes dans la gestion de l’Etat, sur la seule base des liens qu’il entretient avec eux et non en se fondant sur leurs compétences, sans même exiger d’eux qu’à leur tour ils se préservent de tout conflit d’intérêts entre leurs propres affaires et celles de la communauté nationale ?

Comment cela s’appelle un pays dont le président ne reconnait pas la continuité de l’Etat républicain et la nature sacrée de la chose jugée, qui se propose de remettre en cause les engagements les plus solennels souscrits par le gouvernement, les acquis les plus significatifs de son prédécesseur et qui touchent au bien être de ses concitoyens, à la préservation de la qualité de la vie dans le monde, au maintien de la bonne entente entre les nations ?

Comment cela s’appelle un pays dont le président se propose d’exercer son autorité, alternativement, entre sa résidence officielle et son domicile privé, mettant à rude épreuve les agents destinés à assurer sa sécurité, qui dénie néanmoins toute crédibilité aux informations fournies par ses propres services de renseignements, les plus performants du monde, et préfère s’en remettre à ses états d’âme, qui exprime le plus profond mépris à l’endroit des plus défavorisés de ses concitoyens, des handicapés, des minorités ethniques et religieuses et des ressortissants des pays étrangers ?

Comment cela s’appelle un pays dont le président a vu son élection  désavouée par la majorité de ses concitoyens, qui s’était fait remarquer par un opportunisme politique qui l’avait conduit à changer de parti une bonne demi douzaine de fois, qui avoue d’ailleurs qu’il n’a aucune conviction en politique, même sur les sujets les plus graves, et que sa seule ambition est de faire de l’argent et encore de l’argent et de contribuer à accroître le patrimoine des nantis, y compris le sien et celui de ses proches, quitte à enrichir les plus riches et à appauvrir les plus pauvres ?

Comment cela s’appelle un pays où tous les pouvoirs, exécutif et législatif notamment, et même judiciaire, sont aux mains de la même faction dont les représentants sont pour la plupart des milliardaires, ou en tout cas  parmi les mieux nantis de la nation, mais aussi parmi les plus incultes, politiquement et socialement parlant, si l’on considère leur indifférence ou leur méconnaissance de l’état de détresse de certains de leurs concitoyens ou de la désespérance d’une partie des peuples du monde ? Ce mode de gouvernement censitaire explique notamment que chaque membre de cette oligarchie d’argent, imbu de sa richesse, s’exprime sans mesure ni discipline, et qu’à peine nommée l’équipe appelée à diriger le pays, mais qui n’est pas encore aux commandes, se fait remarquer par la cacophonie  installée en son sein et qui donne l’impression qu’elle est un bateau ivre !

Comment cela s’appelle un pays dont le président, appelé à jouer le premier rôle dans la gestion du monde, a pour préoccupation, au cours de sa première prestation publique, non de livrer à l’opinion sa vision des grands défis qu’il aura à affronter, mais à répondre aux questions touchant à ses mœurs, aux turpitudes sexuelles dont on l’accuse et qui peuvent mettre en danger sa liberté d’action si elles s’avéraient exactes ?

Le pays décrit ici n’est pourtant pas une « république bananière », parce que les Etats-Unis ne sont pas la terre d’élection de ce fruit, parce que, surtout, ils ont bien d’autres ressources et sont capables d’étonner le monde, comme ce fut le cas avec l’élection de Barack Obama comme premier président noir d’une nation qui, quarante ans auparavant, contestait aux Noirs les plus élémentaires des droits civiques. C’est bien pour cela, parce que la femme de César ne doit pas être soupçonnée, que nous sommes déçus et inquiets pour l’avenir. Les Etats-Unis ne sont assurément pas cette caricature de gouvernement rongé par la dictature et la corruption qui avait inspiré l’expression à l’écrivain O. Henry au début du XXe siècle, mais ce qui se profile à l’horizon avec l’arrivée au pouvoir de l’arrogante et imprévisible « Trump team », composée très majoritairement d’hommes, de blancs et de riches, de militaires bellicistes et d’hommes d’affaires lobbyistes et comploteurs, rescapés des plus grands scandales financiers des dernières années, avec un chef qui déjà foule aux pieds ses promesses de campagne, c’est en toute beauté, le symptôme du délabrement spirituel et moral qui plane sur une nation gouvernée par l’argent et par le spectacle…


jeudi 5 janvier 2017

ANNÉE NEUVE, VIEUX DÉMONS !

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 5 janvier 2017

Une année vient de s’achever et nous avons tous la crainte que celle qui commence ne soit gâchée par les pitreries de deux saltimbanques, deux bouffons, d’envergure fort différente, dont l’un vient de faire une entrée fracassante sur la scène politique à la surprise générale, et l’autre refuse de la quitter, au grand désappointement de tous les démocrates. Mais la dictature prédictive ayant subi de graves revers au cours de l’année écoulée, tous les espoirs ne sont pas perdus, y compris les plus fous. En revanche, il est peu probable qu’un miracle se produise dans notre vie quotidienne et, que d’un coup de baguette magique, l’année 2017 nous fournisse l’occasion de nous débarrasser de tous les vieux démons qui appartiennent à notre histoire et que nous traînons comme des boulets…

Il y a ainsi le démon de l’incivisme, illustrée par deux images d’anthologie qui devraient nous faire mériter l’oscar du chauffeur le plus imaginatif.   

Le premier est un chauffeur de taxi qui, empêtré dans les embouteillages de la circulation, ne trouve comme solution que d’engager sa voiture… sur la passerelle qui enjambe l’autoroute dont il sait pertinemment qu’elle est réservée aux piétons ! Le second, tout aussi acariâtre, tente un demi-tour digne de James Bond sur le vieux pont Faidherbe, à Saint-Louis, au risque de provoquer un carambolage qui lui ferait perdre le temps qu’il cherche  à gagner. Dire que sous la Grèce antique et même sous la Révolution française, des hommes ont été condamnés à mort ou à la déportation pour manque de civisme !

La discipline n’est pas en effet notre fort et les deux extravagances rapportées plus haut ne constituent qu’un petit échantillon, glané dans l’année qui vient de s’achever, de notre propension  à bafouer les règles du vivre en commun. Faire la queue devant un guichet, céder la priorité, s’abstenir de jeter un détritus dans la rue, de perturber le repos de ses voisins ou de squatter le trottoir ou la chaussée… ces petits gestes là, nous ne savons pas les faire et, mieux, nous les jugeons dérisoires ou fastidieux…

Il y a aussi le démon des pesanteurs sociales, syncrétismes où s’entrechoquent les dérives de nos traditions, de nos croyances et des mauvais exemples que nous empruntons aux autres. Toutes nos cérémonies familiales (baptêmes, décès, mariages et autres commémorations) ont fini par prendre la même allure, avec le même désordre dans l’organisation, la même profusion d’argent distribué avec ostentation à des gens qui ne sont pas dans le besoin, le même étalage de nourriture et de paroles servies dans le même brouhaha.

C’est ce démon qui a poussé un homme, qu’on dit pourtant bien intégré dans la famille qui l’emploie, à assassiner froidement sa patronne pour faire face aux obligations que lui imposent les rites sociaux. L’affaire est encore entre les mains de la justice, et il est sans doute prématuré de cerner le parcours du présumé coupable, mais il n’en demeure pas moins que notre société est minée par le paraître, les extravagances et le gaspillage, et qu’elle a bâti tout un échafaudage de codes qui ne sert que les profiteurs et ne favorise ni le développement ni le progrès social. L’Etat lui-même n’échappe pas à cette frénésie : chaque tournée présidentielle dans le pays profond coûte à la collectivité l’équivalent d’une école ou d’un dispensaire, chaque participation du gouvernement à l’un des grands rassemblements religieux (qui restent tout de même des manifestations d’ordre  privé !) avoisine ou dépasse le budget annuel de certains ministères…

Il y a également le démon des basses querelles, souvent vaines, quelquefois prématurées, toujours stériles, qui décrédibilisent nos hommes politiques et nous font croire que tout est mise en scène et que leur gloire passe avant le bonheur de la collectivité. Des députés qui se querellent en séance, s’étripent même, on voit cela dans des parlements qui revendiquent des siècles d’existence. Ce qui est inadmissible, c’est que chez nous, les débats parlementaires virent souvent en foires d’empoigne, qu’on s’insulte et qu’on s’interpelle sur des questions superficielles, que nos parlementaires oublient quelquefois que l’essentiel de leur mission est de contrôler et non de servir le pouvoir exécutif, que leurs débordements et leurs états d’âme donnent un mauvaise image de leur congrégation et humilient leurs mandants…

Le pétrole a sali et abîmé des régions entières, créé des oligarques corrompus et des misères extrêmes. Pétrole, qu’as-tu fait du Nigéria, du Venezuela ou du Tchad ? Le Sénégal n’a pas encore de pétrole, il n’a que des espérances de pétrole, certes fondées, mais aucune goutte de l’or noir n’est encore sortie de notre sous-sol. Mais voila que déjà cette arlésienne sème le trouble dans notre pays, suscite des soupçons, nourrit des ambitions personnelles, installe la zizanie et prend l’allure de règlements de comptes, voila même que l’on fait pointer à l’horizon la menace d’un conflit avec nos voisins. Il serait à l’honneur de notre gouvernement de rappeler qu’il ne faut pas vendre la peau …du phacochère avant de l’avoir tué et, pour prouver sa bonne foi, de réunir une véritable conférence nationale, sur le modèle de celles qui ont changé le cours de la vie dans plusieurs nations africaines, mais avec des objectifs ciblés, et dans laquelle les débats partisans seraient exclus…

Il y a enfin et surtout, sans que cette liste soit exhaustive, le démon de l’intolérance qui représente à mes yeux la menace la plus grave que notre pays aura à affronter dans les prochaines années.

Elle a fait en 2016 une résurgence inquiétante parce qu’elle ressemble plus à une tendance qu’à un incident de parcours. Elle n’est pas que religieuse, elle est plus largement la manifestation du refus de toute expression personnelle qui ne soit pas conforme à des règles préétablies et qui composent un dogme social. Ainsi il a fallu exfiltrer un imam, menacé de lynchage, parce que, semble-t-il, il avait émis des réserves sur la manière dont on commémorait au Sénégal la naissance du Prophète (PSL) ; fort différente de celle qui a cours dans les pays arabes. Pourtant le rôle d’un imam c’est, comme le rappelait l’un d’entre eux, « d’être un vecteur de savoirs, et non un donneur de leçons ». Ainsi des individus  ont été molestés, menacés de mort ou contraints de se cacher parce qu’ils avaient fait sur des comportements ou sur des hommes des commentaires ou des observations qui, à leurs yeux, n’étaient ni des insultes ni des blasphèmes. Pourtant en Islam, il n’y a d’infaillibilité que celle de Dieu et il est du devoir du croyant de combattre l’aliénation et l’instrumentalisation de la religion. Les meilleurs défenseurs de la tolérance, ce sont les croyants eux-mêmes et, au nom du précepte bien connu et selon lequel « c’est l’enfant de ta mère qui peut te dire que ton haleine est mauvaise », il appartient à ceux au nom desquels ces imprécateurs prétendent parler d’agir en sorte que le dialogue et la reconnaissance de nos différences soient préservés…


« C’est avec des mots, et non avec des idées, qu’on fait des vers ! » avait dit un poète à un mauvais rimailleur. C’est avec des actes forts, et non avec de belles paroles, que l’on peut changer le destin d’une nation. Souhaitons donc qu’en 2017 nous fassions, tous, l’effort de nous débarrasser de quelques uns de nos vieux démons…

BONNE NOUVELLE : ISRAËL SUSPEND SON « AIDE» AU SÉNÉGAL !

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 27 décembre 2016

Barack Obama termine son mandat en beauté : par le pari le plus audacieux, le plus courageux, le plus conforme  à l’idée que l’on se fait d’un grande puissance éprise de paix et de justice qu’un président américain ait prise depuis près de quarante ans sur la crise israélo-palestinienne. Ce n’est pourtant pas un défi, c’est même un geste qui peut paraître banal, c’est une main levée, non pour dire « niet », comme le font si souvent les Russes et avant eux les Soviétiques, mais pour dire clairement que trop c’est trop. La position du président américain se résume en quelques mots : « Je ne peux pas avoir toujours raison contre tout le monde, je m’en remets à la sagesse de mes pairs, et, surtout, je refuse d’obéir aux menaces et au chantage ! ». La résolution 2334 du 23 décembre 2016 du Conseil de Sécurité, approuvée par 14 pays sur 15, à laquelle il n’oppose pas son veto, et qui exige « l’arrêt immédiat et complet des activités israéliennes de colonisation dans les territoires palestiniens occupés, y compris Jérusalem-Est », est un camouflet pour Tel-Aviv. Elle peut contribuer, avec la sortie de Cuba du lazaret dans lequel l’avaient enfermé les Etats-Unis, à faire en sorte que Barack Obama mérite un peu mieux le Prix Nobel de la Paix qui lui avait été attribué trop tôt.

L’Etat d’Israël est l’une des rares nations du monde à devoir son existence à une résolution des Nations-Unies, décision d’ailleurs anti-démocratique puisque votée contre la volonté de la majorité de la population  palestinienne composée alors d’arabes pour les deux tiers. Paradoxalement, Israël est aussi le pays qui bafoue le plus fréquemment les décisions de cette assemblée, avec une désinvolture qui touche à la provocation et au mépris de la communauté internationale, comme vient de le montrer encore sa diplomatie qui traite de « ligue anti-israélienne » les pays qui ont voté la dernière résolution du Conseil de Sécurité. Israël a déjà annoncé qu’il ne l’appliquera pas, pas plus qu’il n’a appliqué plusieurs dizaines de résolutions de la même instance stigmatisant le traitement des réfugiés, les actes de violence, l’expulsion de populations civiles, les expropriations ou les crimes commis par les forces de sécurité. Depuis près de soixante-dix ans, ses gouvernements successifs n’ont jamais cessé de défier les lois internationales. Ils n’ont jamais voulu appliquer les principes mêmes qui avaient présidé à sa création et qui stipulaient que la Palestine serait partagée en deux Etats, arabe et juif, et que Jérusalem resterait une entité séparée. Ils ont bafoué impunément un principe reconnu par tous et qui proscrit toute annexion d’un territoire conquis par la force et qui fait que l’occupation de Jérusalem et de territoires palestiniens est illégale. Ils ont enfreint les dispositions de la Convention de Genève qui interdit à la puissance occupante « de déporter ou de transférer une partie de sa population civile dans les territoires qu’elle occupe… ».

Depuis l’arrivée au pouvoir de Barack Obama, le gouvernement Netanyahu, le plus réactionnaire qu’ait connu Israël, a multiplié les provocations à l’endroit de son plus proche allié, de son principal soutien économique et militaire, celui dont il s’est servi comme parapluie face aux injonctions de la communauté internationale. Il s’est ingénié à faire échouer l’accord sur le nucléaire iranien dans lequel Obama s’était beaucoup investi. Sur la crise israélo-palestinienne, il a gelé délibérément les négociations sur tous les dossiers sensibles, est resté intransigeant sur les colonies, accélérant même leur création puisque 100.000 colons ont été installés sur des terres palestiniennes au cours des huit dernières années. On peut même dire qu’il y a du racisme dans le manque de considération manifesté à l’endroit du président Obama, réduit à une malheureuse parenthèse, puisque, contrairement à tous les usages diplomatiques, le Premier Ministre israélien s’est permis de rendre visite au Congrès américain sans en aviser dans les formes le chef du pays hôte. Aujourd’hui, il poursuit  dans la même veine en s’adressant  directement au président élu, mais non encore investi, comme s’il était déjà aux affaires, et  les rues des villes israéliennes sont déjà pavoisées d’ affiches saluant l’arrivée de Trump comme celle de l’homme qui va « rendre à Israël sa grandeur » ! A tous ces titres, on doit saluer le geste symbolique du président américain, même si sa portée est limitée, puisque Barack Obama est à la fin de son mandat et que la résolution votée n’a pas de caractère contraignant. Il était temps, comme l’a dit son ambassadrice à l’ONU, de rappeler qu’il fallait « faire le choix entre la colonisation et la séparation ».

Mais pourquoi Israël sort-il la Grosse Bertha pour tirer sur tout ce qui bouge, alors que le texte voté est, de l’avis même de ses alliés traditionnels, un document équilibré, qui ne ménage pas les Palestiniens non plus et qui ne fait que réaffirmer le droit ? Pourquoi sommer des ambassadeurs à répondre à sa convocation un jour de Noel, alors qu’il aurait crié au blasphème si son diplomate subissait le même sort le jour du shabbat ?

Pourquoi cible-t-il tout particulièrement le Sénégal, avec à l’appui des menaces de rétorsion, alors que notre pays a porté cette résolution, après la capitulation égyptienne sous la pression (déjà !) de Trump, en même temps que d’autres nations plus riches et qu’en fin de compte 14 pays l’ont signée, dont l’Angola et l’Egypte ? Parce qu’Israël a fait de la victimisation une arme dont il use à toutes les occasions. Parce que sa tactique  a toujours été de frapper les faibles et d’exiger la soumission de tous à sa volonté. Parce que son vrai domaine de compétence, celui où il ne compte aucun rival, c’est la sécurité et le renseignement, que ses fonctions de barbouze du monde et sa capacité de nuisance font peur aux hommes de pouvoir et représentent un instrument de chantage contre les pays pauvres.

Qu’avons-nous à perdre en cas de retrait de son aide, bien trop conditionnelle et relativement modeste ? Très peu, et en tout cas pas l’honneur. Il n’y a aucune gloire à bénéficier de l’assistance d’un pays qui est lui-même l’un des plus aidés du monde, comme l’atteste l’accord de défense d’un montant de 36 milliards de dollars signé il y a quelques mois entre les Etats- Unis et Israël. Il y a de l’indignité à bénéficier des fonds publics d’un pays dont la richesse ne vient pas seulement du fruit de son travail, certes indéniable, et qui entre autres exactions, n’hésite pas à confisquer les recettes fiscales de son petit et malheureux souffre douleur.


Pour toutes ces raisons nous disons « Bye-bye Israël ! ».

LE QUART D’HEURE DE GLOIRE DE ADAMA BARROW

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 6 décembre 2016

« A l’avenir, avait prédit Andy Warhol, chacun aura son quart d’heure de célébrité mondiale ». Adama Barrow, qui vient d’être porté à la présidence de la Gambie, a eu son moment puisqu’il a réussi  à renvoyer les faits et gestes des grands de ce monde en pages intérieures de nos journaux et de ceux d’autres régions du globe, par exemple le renoncement de François Hollande à la candidature aux élections présidentielles françaises ou le coup de téléphone échangé entre Donald Trump et la présidente de Taïwan. On ne savait rien de lui il y a quelques jours, sa vie, son parcours sont désormais sondés, disséqués, commentés dans tous les médias. La divine surprise qui lui a valu cette soudaine et fugace notoriété, ce n’est pas que Yaya Jammeh ait eu moins de voix que lui, la divine surprise c’est que le président sortant en ait fait le constat sans chercher à user d’autres recours et qu’il se soit trouvé en Gambie un homme pour lui rappeler que face à l’évidence il n’avait pas d’autre choix honorable… Sans doute les nations méritent-elles plus que quinze minutes car, ce faisant, Yaya Jammeh et Momar Alieu NJie, le premier malgré lui et le second en connaissance de cause, ont fait que ce 2 décembre 2016 aura été véritablement la journée de la Gambie…

Une des leçons que l’on peut tirer de la déconfiture d’un homme qui depuis plus de vingt ans concentre entre ses mains tous les pouvoirs, y compris celui de vie et mort de ses concitoyens, c’est que pour venir à bout de cette forme d’oppression, les opposants et les militants de la bonne gouvernance doivent auparavant jeter leur ego aux orties et travailler non pour leur propre gloire mais pour le triomphe des principes qu’ils portent en bandoulière. Ils doivent accepter de s’effacer, si nécessaire, derrière celui d’entre eux qui a le plus  d’atouts, selon la conjoncture  du moment, et quelquefois, de sacrifier leur carrière au profit du bien commun. Trop souvent dans nos pays l’opposition est une armée mexicaine au sein de laquelle chaque chef de parti brandit son image et ses prétentions et entretient une escouade de laudateurs et de clients auxquels il promet monts et merveilles. En Gambie, l’opposition a su faire cause commune comme il convient dans les moments décisifs, elle a su échapper au syndrome Gilchrist Olympio-Jean Pierre Fabre, éviter (pour le moment) les querelles de chapelles et les reniements, elle a donné sa chance à un néophyte en politique plutôt que de se focaliser sur la primauté de l’opposant historique…

Une autre leçon est que les institutions ne valent que ce que valent  les hommes et les femmes qui les servent. La tournure des événements en Gambie aurait sans doute été différente s’il y avait eu à la tête de la Commission électorale indépendante  un homme docile ou zélé, prêt à tout pour rester dans les bonnes grâces du régime. La vérité c’est qu’il n’y a pas, à proprement parler, de justice indépendante, il n’y a pas d’instruments de régulation infaillibles, en revanche il peut y avoir des juges et des régulateurs qui savent résister aux pressions, celles des familles, celles de la rue, celles des chefs religieux, celles des lobbies financiers, et bien sûr, celles du pouvoir en place, et quelquefois au péril de leurs vies. Ceux là savent que, selon l’expression d’Edward Abbey, « un  patriote doit toujours être prêt à défendre son pays contre son gouvernement… ».

Je n’ai pas épuisé la liste des leçons que l’on peut tirer des événements de Gambie, mais il y en a au moins une que je ne peux passer sous silence. On peut la formuler comme suit : les hommes politiques, plus à l’aise dans l’esquive et dans l’esbroufe, font souvent des paris dont ils ne mesurent pas l’ampleur lorsqu’ils prennent Dieu à témoin et s’érigent en relais entre Lui et leurs concitoyens. Yaya Jammeh s’était auto-attribué de multiples et ronflants titres, dont ceux de Docteur et d’El Hadj, il se déplaçait dans les lieux les plus profanes en tenant ostensiblement à la main un Coran, sans s’inquiéter de la dangereuse confusion des symboles puisque l’autre main tenait ce qui ressemble à un sceptre. Il aurait intérêt, maintenant qu’il a des loisirs, à bien (re)lire le Livre Saint. Il y trouverait cette sentence : « Allah ne change rien chez un peuple tant que ce peuple n’a pas procédé à son propre changement » (Coran XIII.11). Pour le malheur du président défait, le temps était venu pour le peuple de Gambie de ne plus accepter de supporter l’injustice et la tyrannie, et les élections constituaient une formidable occasion pour le lui faire savoir. C’est surtout maintenant, alors qu’il est redevenu un citoyen ordinaire, plus vulnérable et moins entouré, que Yaya Jammeh, qui ne veut plus être que le paysan de Kanilai, aura besoin, non de brandir le Coran, mais de se plonger dans sa lecture et de solliciter le pardon de Dieu, à défaut de celui des hommes.

Mais il y a loin de la coupe aux lèvres, car la transmission du pouvoir par des voies légales est un phénomène inconnu en Gambie. Toutefois un deuxième quart d’heure de célébrité serait des plus fâcheux pour Adama Barrow, et il faut souhaiter que son investiture, dans deux mois, ne fera pas le gros des titres de la presse mondiale, tout simplement parce qu’elle ne sera plus qu’une banale cérémonie protocolaire et l’expression de l’alternance démocratique…