Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mardi 10 novembre 2015

ELECTIONS A L’AFRICAINE !



Le mois d’octobre qui vient de s’achever a été marqué par la tenue de quatre consultations électorales, dans plusieurs régions du continent africain, et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’exercer son droit de vote ne signifie pas nécessairement que l’on vit dans un pays démocratique.

On a parlé de « divorce à l’italienne », de « mariage à l’anglaise », on devrait aussi parler « d’élections à l’africaine ».

Un rite initiatique

Organiser une élection, solliciter l’avis du peuple, ce n’est souvent en effet, sous nos cieux, que se soumettre à une formalité ou à une représentation, nécessaires pour se faire accepter par « la communauté internationale », qui, comme on le sait, se réduit à une demi douzaine de nations. Les gouvernants africains s’y engagent donc sans conviction, leurs peuples s’y plient quelquefois sans en avoir la culture ni en comprendre l’esprit, mais qu’importe, c’est le prix à payer pour se faire accepter dans le cercle des nations dites démocratiques...et échapper aux sanctions. Car, ici comme ailleurs, on ne punit que les faibles, comme l’a montré récemment encore, dans un autre domaine, la mansuétude des Américains vis-à-vis d’Israël, dont l’armée a exécuté en un mois plus de soixante jeunes palestiniens armés de couteaux, et leur intransigeance à l’endroit du Burundi coupable de tuer des opposants ! 

En Afrique, dans la majorité des cas, l’épreuve des urnes commence donc et se termine par des humiliations.

Le premier de ces actes est la recherche du financement même des élections. Combien de fois a-t-on entendu un gouvernement africain dire qu’il lui manque tant de milliards pour « boucler » le budget d’une consultation électorale  et lancer un appel désespéré vers ses partenaires du Nord ? Nos gouvernants sont incapables de budgétiser les élections qu’ils organisent et quand ils le font, ils sont dans l’impossibilité de tenir leurs engagements. Les élections sont l’occasion de dépenses faramineuses, nécessitent l’acquisition de matériels parfois superflus, non rentabilisés car renouvelés à chaque consultation… et comme dans toutes les règles de la vie, celui qui paye a son mot à dire.

Si l’examen a lieu en Afrique, les notes sont décernées au Nord…

La deuxième humiliation survient aux termes de la consultation, lorsque les gouvernants africains sont suspendus au verdict des grandes puissances. Les élections africaines ont ceci de particulier que si l’examen a lieu en Afrique, les notes sont, comme il y a plus d’un demi-siècle, décernées au Nord. Une élection réussie, c’est celle qui a reçu l’approbation de Barak Obama, de la fondation Carter ou d’Amnesty International. Pour mériter cette sanction, nos gouvernants essuient donc une humiliation intermédiaire entre les deux déjà citées : c’est celle de la présence d’observateurs étrangers qui, en tenues de vacances, ont accès jusqu’au tréfonds des bureaux de vote, alors que tout est déjà consommé ! Dommage que les Africains n’aient pas les mêmes privilèges, qu’ils n’aient pas eu droit de regard sur les tripatouillages  de bulletins de vote qui, en 2000, ont contraint la puissante Amérique à recourir à des recomptages manuels en Floride ; ni au referendum  précipitamment organisé par les Russes en Crimée, en mars 2014 ; qu’ils n’aient pas été invités aux élections dans les « cités » de la grande banlieue parisienne, celles où quelquefois un habitant sur trois est exclu du scrutin par la loi, non pour contrôler la sincérité des votes, qui reste incontestable, mais pour vérifier que les Français  « issus de l’immigration », les parents de Bouna, de Ziad et des autres, ont bénéficié des mêmes opportunités pour s’imprégner de l’enjeu électoral et exercer leurs droits ! 

Les élections qui se sont tenues en Guinée-Conakry, en Côte d’Ivoire, au Congo-Brazzaville et en Tanzanie n’ont pas dérogé aux règles habituelles. Comme de coutume, elles sont marquées par la victoire des pouvoirs en place, par «  KO au premier tour », en reprenant un des slogans des partisans de Alassane Ouattara. 
 
Comme de coutume aussi, elles sont contestées par l’opposition qui n’en reconnait ni la sincérité ni la transparence.

Mais la vraie spécificité de ces trois scrutins, c’est le caractère quasi miraculeux des résultats proclamés. 

En Guinée, le miracle ce n’est pas la victoire du candidat sortant, c’est qu’elle ait été acquise si tôt. Les Guinéens ont-ils été transfigurés au point d’élire dès le premier tour, malgré Ebola et les pénuries, un homme qui il y a cinq ans, n’avait rassemblé à ce stade, autour de son nom que 18% des voix, dans un pays où, nous disait-on, chacun vote pour son ethnie et où aucune ethnie n’est majoritaire ?

En Côte d’Ivoire, le miracle ce n’est pas, la reconduction dès le premier tour du candidat sortant, c’est le fait qu’il ait fait mieux que Houphouët en 1990, c’est le taux à la soviétique d’un président dont le titre de gloire, une croissance économique qui est loin d’être inclusive, ne peut faire oublier l’échec de  la réconciliation nationale. 

Quant à l’approbation massive par les Congolais de la prolongation du mandat, jusqu’en 2031 s’il le souhaite, d’un homme qui, trente ans durant, a conduit leurs destinées, elle tient du prodige divin !

Au Sénégal, à deux reprises, aux élections présidentielles, le candidat sortant a été sorti par son challenger. C’est un rare privilège, unique en Afrique francophone, et il nous appartient à tous de le sauvegarder. Mais nous ne serons aux portes de la démocratie que lorsque nous pourrons nous passer de subventions, d’observateurs et d’onctions étrangers. Quant à ceux qui comptent sur les miracles, qu’ils sachent que les miracles n’ont lieu qu’une fois. Lorsqu’on refuse les concessions que Mathieu Kérékou avait, avec pragmatisme et lucidité, acceptées en 1989, on finit comme Blaise Compaoré !


DEUX POIDS, DEUX MESURES



Texte publié dans « Sud Quotidien » du 1e octobre 2015

Des bombes sur un hôpital !

L’armée américaine, qui n’était restée en Afghanistan que pour une mission d’encadrement, a donc bombardé un hôpital de Médecins Sans Frontières. Bilan : plus de 20 morts, des civils évidemment : des malades et du personnel médical. Première explication américaine, d’une incroyable bêtise : « ce n’est pas nous ! », alors que tout le monde sait que l’autre possible suspect, l’opposition représentée par les Talibans, ne dispose pas d’aviation pour effectuer une telle opération. Deuxième explication d’un insoutenable cynisme et qui a été vite démentie par l’hôpital : des rebelles étaient cachés dans l’établissement ! 

Ce bombardement a été fait en connaissance de cause puisque l’armée américaine, dont l’équipement est le plus sophistiqué du monde, avait reçu communication du GPS de l’hôpital et ne peut donc commettre une erreur aussi grossière. Selon les Conventions de Genève, il est assimilé à un crime de guerre, passible de lourdes condamnations. Pourtant aucun pays n’a exigé que les responsables soient traduits devant une cour appropriée et le monde des « grands esprits » semble se contenter des plates et tardives excuses du président Obama.

Imaginez ce qu’il en aurait été, l’horreur qui aurait saisi « la communauté internationale », si l’Iran avait bombardé un hôpital de la Croix Rouge dans les zones sunnites d’Irak ou de Syrie !

Des fusils contre des pierres !

Depuis quelques jours, des citoyens israéliens sont agressés à l’arme blanche en Israël ou dans les territoires occupés. Les agresseurs sont dans ces cas là, soient abattus par la police ou des témoins armés, soient placés en détention sans jugement. Les personnes suspectées d’être responsables d’attaques du même genre ont vu leurs maisons familiales rasées ou scellées, leurs familles jetées dans la rue, sans même que leur culpabilité ait été établie formellement. Ce traitement n’est réservé qu’aux Arabes puisqu’il y quelques semaines, des colons juifs extrémistes et dont le mouvement est connu de la police, ont incendié la maison d’une famille palestinienne, un bébé de dix huit mois a été brûlé vif et ses parents ne lui ont survécu que quelques jours. Aucune force israélienne n’est allée raser les demeures des présumés coupables, qui avaient inscrit « vengeance » sur les murs de la maison incendiée et dont certains n’en étaient pas à leur premier forfait ! Ce vendredi, l’armée israélienne a fait usage de ses armes sur des manifestants qui lançaient divers projectiles contre ses soldats, faisant sept morts palestiniens. En moins de deux semaines, elle a « exécuté » plus de vingt jeunes gens et adolescents, car elle est la seule armée au monde à être autorisée à tirer à balles réelles sur des manifestants armés de pierres. Israël a été, à maintes reprises, accusé de crimes de guerre, aussi bien par l’ONU que par ses propres soldats, sans jamais être condamnée solennellement par la  justice internationale.

Les crimes de guerre des puissances portent le nom de bavures, et Israël et les Etats-Unis se refusent à signer ou s’affilier à des conventions ou des institutions qui comme les protocoles additionnels des conventions de Genève ou la CPI les empêchent de n’agir qu’à leur guise !

Sus sur la Syrie !

La Syrie n’est en guerre, officiellement, contre aucun pays. Pourtant elle est bombardée sans mandat de l’ONU, ce qui, en soi, représente une violation des conventions internationales, et par des pays avec lesquels elle n’a pas de frontières et n’est pas en conflit et qui ne peuvent donc pas invoquer la légitime défense. Même la France qui, il y a quelques années, s’était fait acclamer à l’ONU pour s’être opposée à l’invasion non autorisée de l’Irak, joue aujourd’hui à la mouche du coche aux côtés des Américains, avec cette conséquence que, pour la première fois depuis longtemps, l’armée française tue des citoyens français qui ne sont pas en guerre contre elle. Le vrai paradoxe de ce conflit, et c’est du jamais vu, c’est que la Syrie subit un double bombardement par deux puissances opposées dont chacune vient faire son marché et soutient un élément des parties en conflit.

C’est comme si, il y a quarante ans, la Chine et les Etats-Unis intervenaient simultanément au Vietnam, l’un bombardant Saigon et l’autre s’attaquant à Hanoi !

Le rapport qui coutait plus d’un milliard !

Enfin pour clore cette liste non exhaustive des injustices commises de par le monde, abordons un sujet bien plus léger et qui lui au moins ne fait pas (encore) de morts. 

La commission d’éthique de la FIFA a donc décidé de suspendre Blatter, mais aussi Platini dont il avait été longtemps le mentor et l’ami. Pour les autorités sportives et politiques françaises, la suspension de Platini est un scandale : il n’est pas présumé innocent, il est déclaré innocent avant même la fin de l’instruction de l’affaire. Ses amis condamnent au contraire la commission d’éthique, truffée, affirment-ils, de pro-Blatter, glosent sur le président intérimaire (un Africain !) dont ils rappellent qu’il avait reçu un blâme du CIO il y a quelques années, et fustigent les libéralités que le président déchu aurait accordées aux pays les plus pauvres. Aucun ne s’offusque que Platini, membre du comité exécutif de la FIFA depuis 13 ans, n’ait jamais rompu avec son ancien mentor pourtant suspecté de plusieurs dérives au cours de son long mandat, ni qu’il ait reçu de celui-ci, pour rétribution de travaux de conseil, soldés dix ans après leur achèvement, l’équivalent d’un milliard deux cents millions CFA. Même si ce montant ne constitue pas un « préjudice pour la FIFA », comme le sous-entend l’acte d’accusation, il est tout de même étrange qu’un seul conseiller ait reçu, de manière quasi informelle, un salaire d’un montant aussi élevé, plus que n’avait reçu aucun pays africain pour développer le football sur ses terres. Apparemment Blatter n’a pas arrosé que des Africains et le rapport, chèrement payé, qui avait valu l’opprobre à Xavière Tiberi, épouse de l’ancien maire de Paris, fait pâle figure à côté de celui de Platini.

Ainsi va le monde et Jean de La Fontaine l’avait résumé il y a trois siècles et demi par une formule : « la raison du plus fort est toujours la meilleure ! ».

BAZARS !



Texte publié dans « Sud Quotidien » du 8 septembre 2015

Selon des estimations fiables, il meurt un émigré toutes les deux heures en Méditerranée depuis le début de cette année ! Chaque jour, ils sont des dizaines, quelquefois des centaines d’hommes, de femmes et d’enfants à perdre la vie sur ce cimetière marin, noyés sur de frêles esquifs, asphyxiés dans les cales, achevés par la faim ou la soif, jetés par-dessus bord par plus forts qu’eux, et il a suffi du corps d’un petit garçon échoué sur une plage pour, enfin, susciter la commisération, réveiller les consciences, transformer subitement les « migrants » en « réfugiés » ! Comme si ce n’était pas la vie qui était sacrée, mais que ce qui fait la différence entre les victimes  c’était leur identité, leur âge et, surtout, l’exploitation médiatique que l’on pouvait tirer de leur mort. Le petit Aylan n’est pas la première petite victime arabe de la barbarie, puisqu’il y a quelques semaines, un petit palestinien était brûlé vif par des colons israéliens, ce n’est pas le premier enfant mort en Méditerranée, mais avec lui on tient enfin une image « déchiffrable » et qui a le mérite d’être photogénique !

Malheureusement un choc émotionnel ne suffit pas pour changer l’ordre du monde  et le petit syrien ne sera pas le dernier enfant à trouver la mort dans ce terrible exode de deux cent mille désespérés qui sèment le trouble en Europe, mettent en émoi et « submergent » (selon Marion Le Pen) ses 500 millions d’habitants. Les Européens ne s’entendent plus sur rien, ni sur les causes du désastre et les remèdes à apporter, ni sur les moyens à mettre en place, ils s’empoignent sur les quotas, sur les frontières, sur le sens qu’il faut donner aux valeurs qu’ils tentent pourtant d’imposer aux autres. Gares fermées, camps improvisés, discrimination entre les refugiés, exploitation de la misère des populations errantes auxquelles on vend un vélo pour une fortune, propos racistes, gesticulations et revirements…, on a honte pour cette partie de l’Europe transformée en bazar et qui oublie qu’elle-même fuyait vers l’ouest il y a quelques années. L’honneur des Européens est aujourd’hui entre les mains de quelques irréductibles bonnes volontés qui se sacrifient pour le préserver et qui, en Allemagne notamment, imposent la solidarité aux autres.

Pourtant après la vindicte contre les passeurs et leurs complices, les sorties contre les gouvernements corrompus ou incompétents des pays de départ des migrants, la condamnation des extrémismes religieux qui se nourrissent de ce désordre, il n’est que temps de situer la responsabilité des gens « bien intentionnés », qui savent tout sur tout et décident pour les autres, ces spécialistes de la géopolitique et du bonheur des hommes, pin-up des médias comme Bernard-Henri Lévy, gouvernants comme les présidents Bush et Sarkozy ou le Premier Ministre Blair, dirigeants d’organisations internationales, telles l’ONU ou l’OTAN, qui, les premiers, ont  ouvert la boite de Pandore…

Ils nous avaient dit que le Soudan, issu de la colonisation anglaise et au sein duquel cohabitaient arabes musulmans du nord et noirs majoritairement chrétiens du sud, ne pouvait pas rester uni. 

Ils avaient subitement découvert que Saddam Hussein, qu’ils avaient armé pour mener contre l’Iran une guerre par pays interposé, représentait un danger pour l’humanité, qu’il avait la deuxième armée du monde, possédait des « armes de destruction massive », et qu’il fallait l’abattre et dissoudre toute l’armée irakienne !

Ils  avaient réalisé que Kadhafi, qui avait exigé et obtenu de planter sa tente à quelques encablures de l’Elysée, et Assad, qui avait été l’invité d’honneur de la commémoration du 14 juillet, étaient devenus absolument infréquentables !
Jamais pourtant ils n’avaient livré les vrais fondements de leurs motivations qui étaient loin d’être humanitaires : le Soudan du Sud reposait sur une mer de pétrole, l’Irak était devenue un pays émergent et allait s’élever au rang d’une Corée du Sud arabe, la Syrie était le seul allié arabe de l’Iran, et Kadhafi était tout prêt de quitter la Ligue Arabe pour doper l’Union Africaine  et faire contrepoids aux monarchies du Golfe…

Le Soudan a donc été démantelé, divisé en deux Etats, l’Irak a été envahie et au prix de cent mille civils tués, son président a été traqué et pendu, la Libye a été bombardée par une coalition internationale, contre l’avis de l’Union Africaine, Kadhafi capturé, torturé et exécuté, Assad est cerné et son pays démantelé avec la complicité des extrémistes religieux que l’on pourfend par ailleurs.

Le trust de cerveaux  compétents qui prétendait savoir ce qui était bien pour le Soudan, l’Irak, la Libye, la Syrie, pour eux-mêmes et pour le reste du monde, est-il aujourd’hui prêt à répondre de son bilan et à reconnaitre qu’un « homme compétent devient un homme qui se trompe… dans toutes les règles » ?  Le Soudan du Sud, le plus jeune Etat du monde créé par ses soins, est désormais considéré comme l’Etat le plus sanguinaire et le plus arbitraire. L’Irak est devenue un Etat tribal où la majorité condamne les minorités à l’exil, et tout particulièrement la minorité chrétienne qui, seule, semble préoccuper l’Occident. La Syrie se désagrège sous les bombardements de l’armée, des rebelles et des envahisseurs extrémistes. La Libye, jadis terre d’accueil, est devenue un enfer pour ses habitants et une passoire  pour les miséreux… Le même désordre menace tous leurs voisins et ce bazar là est sans commune mesure avec celui qui s’installe dans les Balkans.

Alors toutes les victimes collatérales de ce chambardement ont pensé, tout naturellement, qu’il fallait aller chercher secours auprès des Zorro qui disaient agir pour leur bien en débarquant chez eux : ils se sont rués aux portes de l’Europe ! Mais, au moins jusqu’à il y a quelques jours, l’Europe n’était prête à leur offrir que des larmes, la souffrance et l’humiliation.

L’histoire des réfugiés est d’abord une histoire de cocus !

ETHIQUE ET POLITIQUE

Texte Publié dans « Sud Quotidien » du 26 aout 2015

Nous savons, au moins depuis Machiavel, que la politique et l’éthique suivent souvent des chemins différents, voire divergents. L’homme politique est  fondamentalement a-moral puisque pour lui, la vertu première c’est la capacité de saisir la bonne occasion, de savoir tirer son épingle du jeu, par tous les moyens à sa disposition. Les hommes politiques qui ne feraient profession que de bonté ou de rectitude iraient tout simplement à la ruine. Ce qu’on a appelé « machiavélisme » sévit sous tous les cieux, et à tous les temps et il suffit en effet de voir la connivence, l’esprit de caserne qui règnent entre les hommes qui font de la politique un métier, quand on les surprend à l’abri des témoins, pour comprendre qu’ils appartiennent bien à la même secte.

« Il y a un temps pour la cruauté… »

Il  nous faut donc, pour commencer, récuser l’accusation souvent portée par les gouvernements occidentaux, selon laquelle notre continent aurait le monopole d’actes de tortures et de politiciens tortueux. En réalité, la seule vraie différence entre leurs pays et les nôtres, c’est que chez eux, il y a un temps pour la cruauté et l’injustice alors que chez nous, celles-ci sont souvent permanentes. Dans les faits, peu de dirigeants africains sont mêlés à autant d’affaires de corruption que Nicolas Sarkozy, ont couvert autant d’actes de torture sophistiquée que Georges Bush, se sont livrés à autant d’empoisonnements ou de meurtres de leurs opposants que les dirigeants israéliens. Ce qui fait notre malheur, c’est que chez nous, ces excès ont été quelquefois non pas des moments de faiblesse, mais la marque de fabrique de plusieurs régimes. Quant aux mœurs politiques, ce que nous appelons « transhumance », n’est pas une spécificité sénégalaise, elle est courante, voire banale, aux Etats-Unis, où Ronald Reagan avait été un militant actif du parti démocrate avant d’être élu président républicain. En France, Bernard Kouchner avait successivement milité au sein des jeunesses communistes, des radicaux de gauche puis du parti socialiste, avant de devenir, sans état d’âme, ministre du très populiste Sarkozy. Même De Gaulle, que l’on ne peut certes soupçonner de « transhumance », a – par réalisme politique – renié les promesses qu’il avait tenues aux Français sur le sort de l’Algérie lors de son accession au pouvoir. On peut dire que, d’une certaine manière, la formule qu’on lui prête et selon laquelle «  les Etats n’ont pas d’amis, ils  n’ont que des intérêts » relève du machiavélisme…

C’est donc parce que le réalisme est la seule vertu politique que l’on peut expliquer qu’en 2000, Djibo Ka ait préféré rejoindre Abdou Diouf, avec lequel pourtant il s’était brouillé avec fracas, plutôt que de rallier Abdoulaye Wade auquel aucun contentieux personnel ne l’opposait. Il avait compris que dans une élection présidentielle, il n’y avait qu’un seul vainqueur, et, après trente ans de militantisme politique et une solide expérience des affaires, il croyait savoir dans quel sens soufflait le vent. Non seulement il pensait miser sur le bon cheval, mais surtout il s’était convaincu qu’il lui serait plus facile de retrouver la place de choix qu’il avait exercée au sein du gouvernement socialiste, que d’en conquérir une autre de haute lutte aux côtés d’une formation qui se proclamait libérale et dont les lieutenants piaffaient d’impatience. 

Il s’était trompé, parce qu’il avait ignoré la lassitude de son peuple, il  avait perdu son pari, s’était vu dès lors contraint de jouer aux supplétifs de guerre. En 2015, sa situation est bien moins reluisante qu’elle n’était en 2000. Il a perdu l’aura qui entourait le rebelle, que l’on suppose toujours plus vertueux que le chef usé qu’il combat. Mais, surtout il a perdu en route beaucoup de militants, beaucoup de ses moyens humains et matériels et pratiquement son pouvoir de nuisance. Depuis trois ans, il ne s’était pas contenté d’être à l’écart du pouvoir, il s’est intégré dans un front dont le seul vrai ciment est la contestation de toutes les initiatives du gouvernement, allant jusqu’à s’abstenir de condamner vertement le caillassage du véhicule du premier citoyen de la République. C’est ce qui rend son ralliement spectaculaire, mais on avait oublié que pour un homme politique, il y a toujours quelque chose à faire dans la pire des situations, et c’est même lorsqu’on a dos le mur qu’on est le plus efficace politiquement.
 
« Le courage n’est pas soluble dans le calcul ! »

Mais encore faudrait-il que le jeu en vaille la chandelle car, dans cette histoire, Djibo Ka n’a fait preuve ni de courage ni de vision patriotique !

Cet acte, contrairement à ce que tentent de nous faire croire tous les « transhumants », n’est pas un signe d’audace, car il résulte d’un pari. « Le courage n’est pas soluble dans le calcul », dit un philosophe, et dans la situation où se trouve aujourd’hui Djibo Ka, son geste repose sur le double et improbable calcul qu’il peut déstabiliser ses anciens amis et donner du sang neuf aux nouveaux.

Mais le plus grave, c’est qu’il a sous-estimé les effets collatéraux de ses valse-hésitations, il n’a pas pris en compte les conséquences de son geste sur la perception que l’opinion se fait de la politique et des hommes qui l’animent. Il a, peut-être, réussi un coup politique personnel, mais il aura manqué à ses devoirs de citoyen, à ce que certains appellent son éthique de responsabilité, celle qui doit animer tous ceux, hommes politiques, vedettes du spectacle ou du sport, qui ont aussi pour ambition de servir de modèles ou de guides. Une enquête récente a montré que les jeunes africains, et même les moins jeunes, se passionnent de moins en moins pour la politique  et cette désaffection est bien sûr nourrie par la fréquence des retournements et des reniements de ses porte-flambeaux. C’est grave parce que si la jeunesse et la rue se désintéressent de la vie de la Cité, ce sont toutes les occasions de changer le monde qui sont perdues. N’oublions jamais qu’aucun homme politique n’a participé à la prise de la Bastille !