Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 17 juillet 2014

MATCH TRAGIQUE : ISRAEL 160, GAZA 0 !

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 14 juillet 2014

Le match Brésil-Allemagne parait dérisoire face à celui qui se déroule devant l’opinion internationale, toujours impuissante quand il s’agit de l’Etat juif. C’est un match tragique : on n’y marque pas de buts, on verse du sang, on tue des hommes, de préférence des civils, et à ce jeu là, Israël est toujours gagnant. Au dernier score, il a fait plus de 160 morts au sein de la population gazaouie, et ce n’est pas fini puisque selon le ministre israélien des affaires étrangères, on n’est qu’au début du processus !

Depuis cinquante ans, l’Etat d’Israël se permet des gestes et des actes qu’on ne tolérerait pour aucune nation, et d’abord celui d’annexer un territoire conquis militairement, de s’emparer de ses terres, d’y installer des colons, de confisquer le produit du travail de ses habitants. Depuis qu’il est membre des Nations-Unies, Israël est le pays qui a le plus souvent bafoué les résolutions de son Assemblée Générale, et c’est aussi le pays qui a renié le plus fréquemment les engagements internationaux auxquels il avait souscrits ! C’est le seul gouvernement qui pratique l’assassinat ciblé de ses adversaires, au pas de leur porte, voire d’un lieu de prière, comme ce fut le cas de Cheikh Yassin, ou à l’étranger… Toujours sans conséquence, car l’Occident est d’une coupable tolérance à l’égard de cet Etat…

Punition collective

La stratégie d’Israël repose sur deux principes, tous deux condamnés par toutes les conventions internationales : la riposte disproportionnée et la punition collective. Rappelons l’origine du conflit qui, depuis quelques jours, l’oppose au Hamas. Trois jeunes israéliens sont enlevés et tués, ce qui est une monstruosité impardonnable. Israël met alors en branle la riposte traditionnelle. Pour lui, tout acte criminel commis contre ses citoyens n’est jamais l’acte d’un désespéré ou d’un groupe de révoltés. C’est le peuple palestinien, hommes femmes et enfants, qui est le comploteur général et c’est lui qu’il faut punir. En conséquence, plus de six cents personnes sont, préventivement, arrêtées, les maisons des familles des personnes suspectées sont rasées, la répression fait des morts avant même que la culpabilité des accusés ne soit établie ! Si les suspects sont châtiés, les victimes sont honorées et bénéficient d’obsèques  solennelles, paisibles et nationales, comme il convient à un deuil de cette nature.

Mais ce qui, déjà, n’était pas convenable, c’est le déchainement de violence verbale qui a accompagné ce drame et qui est porté d’abord par les plus hautes autorités politiques de l’Etat. Les menaces ne sont pas seulement dirigées contre les populations des territoires occupés, mais contre tous les Arabes, y compris les arabes israéliens, car il en existe. Le résultat ne se fait pas attendre : un jeune palestinien est enlevé, torturé et brûlé par une escouade d’israéliens en signe de représailles. Le crime est encore plus odieux que celui que l’on veut venger puisqu’il se fait en pleine ville et non sur des chemins perdus et qu’il est le fait d’hommes qui vivent dans un Etat dont les institutions fonctionnent et qui a, déjà, usé de ses forces militaires pour imposer sa loi. Que croyez-vous qu’il arriva ? Que les parents de la victime palestinienne bénéficieraient, eux aussi, de la commisération et de la protection du pouvoir public pour célébrer leur deuil ? Que les maisons familiales des coupables seraient détruites ? Rien de tout cela n’a été fait : la police a chargé le cortège funéraire, et si les israéliens auteurs du crime sont interpellés, ils seront jugés à titre personnel, seuls responsables du forfait, et leur sanction sera sans excès et peut-être même purement symbolique.

Une guerre indigne

Alors pour noyer médiatiquement cette tragédie, pour qu’on ne parle pas de ce deux poids deux mesures, pour aussi répondre aux attentes d’une partie de son opinion qui jugeait trop molle sa réaction face aux Palestiniens, Ie gouvernement Netanyahou décide d’entreprendre une opération de grande envergure contre son punching-ball favori : Gaza. Comme d’habitude et suivant ses prédécesseurs, il donne à cette opération un nom de code à la mesure du débarquement des alliés sur les plages normandes : Raisins de la Colère (1996), Plomb Durci (2009), Piler de Défense (2012) et maintenant Haie de Protection ! On a l’impression qu’Israël affronte l’empire Moghol, alors que Gaza est une bande de 360 km2, peuplée de 1,5 millions d’habitants, parmi les plus démunis du monde puisque la plupart sont des réfugiés, et que 60% de sa population a moins de 18 ans ! En quelques jours l’aviation israélienne a effectué des centaines de bombardements sur cette petite enclave cernée de toutes parts par son adversaire, a détruit des dizaines d’habitations, a tué plus de cent cinquante personnes, des civils essentiellement, des femmes et des enfants souvent. Il ne pouvait en être autrement puisque la bande est l’un des territoires les plus densément peuplés du monde… La riposte est bien sûr sans commune mesure avec l’affront : les roquettes du Hamas plus ingénieuses qu’efficaces, sont si peu précises que les habitants du sud israélien vont au spectacle, assister, à partir d’un promontoire bien choisi, au déluge de feu qui s’abat sur Gaza  et à l’interception des engins qui en viennent.

La guerre menée à Gaza n’est pas faite contre une armée, elle est lancée contre un peuple, contre des familles qui reçoivent, au téléphone, l’ordre d’abandonner leur maison en quatre minutes, et qui, pour peu qu’elles hésitent ou trainent se retrouvent ensevelies sous les débris. Ce n’est pas seulement une guerre cruelle et injuste, elle est indigne de notre siècle. « Où est la solidarité islamique ? », crie désespérée une habitante de Gaza. Non, madame, il faut crier : « Où donc est l’Humanité ? ». La Palestine est oubliée par la « communauté internationale » qui préfère   exprimer sa compassion à l’Ukraine et condamner Poutine. Alors Netanyahou peut lancer ses troupes au sol et, avec un peu d’effort, il battra le record de Palestiniens tués en 2012 !


Dire que cette violence, que Mahmoud Abbas a appelé génocide, vient d’un peuple qui invoque à l’envi les moments de souffrance et d’injustice qui l’ont conduit à se chercher une terre !

dimanche 6 juillet 2014

A QUOI SERVENT « NOS » ELECTIONS ?

NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 5 juillet 2014

Que nous votions, rien de plus normal, voire nécessaire ! Les élections, la consultation populaire, sont les fondements de la démocratie et si la démocratie est, dit-on, le pire des régimes, il n’y en a pas de meilleur pour exprimer la volonté du peuple. En revanche, ce qui est regrettable, c’est que chaque élection nous ruine, nous prive de ressources qui auraient pu contribuer à renforcer notre système éducatif et sanitaire qui est en ruines ! Ce qui est impardonnable, c’est que certaines de nos élections – (et là, je ne parle pas du seul Sénégal, mais de l’Afrique francophone en général) – nous conduisent à des comportements indignes d’un Etat qui se dit indépendant : mendier des subsides, se plier à des diktats, se voir imposer des us et coutumes étrangers ! Si l’Occident paie nos élections, ce ne sera jamais par souci exclusivement humanitaire..

Une consultation à 20 milliards de francs !

Treize milliards de francs ! C’est ce que les dernières élections locales auraient coûté au budget de l’Etat. En réalité, si l’on considère que, de tous temps, les moyens mis en œuvre pendant les campagnes électorales par les candidats issus du pouvoir (moyens financiers et logistiques) sont prélevés, plus ou moins directement, sur les ressources publiques, il faudrait considérer que nos impôts ont contribué pour 15 à 18 milliards à l’organisation et au déroulement de la consultation. On sait par ailleurs que les moyens mis en place par l’opposition elle-même viennent, pour certains, de profits plus ou moins licites accumulés quand elle était au pouvoir ou de la gestion des collectivités qu’elle contrôle. Certains candidats sont en réalité des sous-traitants subventionnés par d’autres qui se sont sustentés aux mamelles de l’Etat ou des collectivités et qui cherchent à combattre leurs adversaires à visage masqué. Il ne serait sans doute pas exagéré de dire que les dernières élections locales ont coûté quelque 20 milliards au pays, plus que le budget de nombreux ministères, soit l’équivalent de 1% du budget de l’Etat ! Il est vrai que si elles coûtent cher à la nation, les élections sont en revanche une rente pour certains milieux affairistes, un investissement à amortissement garanti pour d’autres et l’occasion pour certains citoyens de grappiller un peu des réserves des nantis.

On ne peut pas faire une élection sans frais mais on devrait, pour le moins, s’attacher à la rendre moins coûteuse (réduction du nombre de listes, bulletin unique, etc.), et aussi, et peut-être surtout,  savoir d’où vient l’argent, en contrôler les sources, en fixer les limites…

2700 listes : 2700 idées ?

Mais évidemment une élection n’a de sens que si elle est l’occasion d’un débat d’idées, si elle oppose des projets de sociétés, des ambitions qui ne sont pas que personnelles. Peut-on espérer faire ce débat quand il y a 2700 listes en présence ? Evidemment non ! Nos campagnes électorales sont des foires d’empoigne. Quand on a échappé aux invectives, quelquefois aux insultes, on tombe dans la démagogie. Tel candidat se propose de créer une Silicon Valley dans sa circonscription, sans préciser d’où viendraient les moyens financiers et surtout humains. Tel autre promet d’offrir des emplois à tous, sans réaliser que ce sont les entreprises et non l’Etat ou à fortiori les collectivités qui créent l’emploi. D’autres, plus généralement, promettent de raser gratis demain ! Ce n’est pas l’imagination qui manque, sauf peut-être celle de donner aux partis et coalitions des noms et titres qui sortent des sentiers battus puisque tous, désormais, tournent autour de « And… (ou Andando) » ou «  Benno… ». Les Sénégalais cultivent ce paradoxe de vanter les mérites de l’alliance et de l’unité et d’aligner 200 partis !

Retour au double collège !

Enfin, toute élection repose sur une convention, acceptée et garantie par les représentants du peuple et qui porte le nom de code électoral. Les élections de conseillers départementaux et municipaux imposent que les listes de candidature comportent « un nombre égal d’hommes et de femmesde manière alternative » (article  R.84 du Code Electoral). Celles qui viennent de s’achever marquent à cet égard un tournant : celui du retour de notre pays à l’époque coloniale, celle des « 4 Communes », l’époque du double collège, quand on  distinguait les «  citoyens », qui avaient des droits, des « sujets » qui n’avaient que des devoirs. Désormais il y a au Sénégal un territoire où s’applique le code électoral dans son intégralité, y compris la parité hommes-femmes, et un autre, réduit à la dimension d’un « titre foncier », mais autrement plus puissant que le reste du pays et qui bénéficie de dérogations, y compris la liberté de refuser l’exercice de la démocratie puisqu’à Touba aucune liste ne s’est présentée contre celle parrainée par l’autorité religieuse. Le comble c’est que ce viol est approuvé et justifié par le ministre chargé du respect des lois, qu’il est ignoré par l’ancien Président de la République qui, tout au long de son indécente campagne électorale, n’a jamais rappelé qu’il avait conçu et porté la loi à bout de bras, snobé par le Parlement qui avait voté cette loi et l’avait présentée comme une avancée démocratique exceptionnelle. Le plus désolant, peut-être, c’est une voix, celle de l’une des porte-parole des bénéficiaires de la loi, qui défendait bec et ongles sa légitimité il y a peu, et qui se contente aujourd’hui d’affirmer qu’il n’y a pas péril en la demeure puisqu’elle est appliquée à… 99% ! Mesure-t-elle l’ampleur du désordre qui s’installerait dans notre pays si 1% de nos concitoyens s’amusaient à bafouer, impunément, chacune de nos lois ? La loi, Madame, bonne ou mauvaise, est une règle d’application obligatoire! C’est sans doute ce qu’ont compris les électeurs de Touba qui, plutôt que de voter pour une liste non conforme à la loi, ont été nombreux à préférer voter blanc.

Au total, on peut dire que les élections locales nous ont réservé des surprises, procuré quelques satisfactions ou confirmé nos craintes. Elles ont mis en évidence l’existence d’un tabou que personne, même au plus haut sommet de l’Etat, n’est prêt à affronter. Elles ont  montré que les Sénégalais ont pris désormais pour philosophie : « Prends l’oseille et vote pour qui tu veux ! ». Elles ont révélé la fragilité des alliances et la lassitude des citoyens face aux promesses jamais tenues. Elles ont confirmé que pour certains, la politique est d’abord un métier dont ils ne se lassent jamais, à moins d’être chassés. Elles ont élu des hommes et des femmes dont certains ne savent  même pas le contenu de leur engagement…

Mais ces leçons valaient-elles le prix payé ? Au bout du compte on peut dire : tout ça pour ça !

IRAK, LIBYE... LES « PAIX MEURTRIERES »


NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 26 juin 2014

« La guerre ne peut plus être considérée, même par le calculateur le plus froid et par la nation la plus puissante, comme un moyen d’atteindre, avec une probabilité suffisante, un but déterminé ». Pour avoir ignoré ces mots, prononcés il y a plus de huit décennies par Paul Valéry, les puissances occidentales ont plongé l’Irak et même la Libye, dans une situation pire que celle qu’elles avaient invoquée pour justifier leur entreprise militaire. Quelle que soit l’issue de la guerre, avait averti le même écrivain, « ses effets seront essentiellement désastreux, pour les belligérants » comme pour les autres.

La plus grande supercherie de l’histoire du renseignement

Restons encore avec Valéry : «  l’hostilité entre les nations repose sur un nombre très restreint de personnes… La politique dite « extérieure » est en réalité le jeu des relations de ces minorités, de leurs sentiments (…), de leurs ambitions propres ». Les guerres « coloniales » menées contre l’Irak et la Libye en sont une parfaite illustration. Les peuples américain et britannique, de même d’ailleurs que la « communauté internationale», par la voix du Conseil de Sécurité, étaient opposés à la guerre d’Irak, mais MM. Bush et Blair la voulaient et elle a eu donc lieu. La chance de la France, c’est  que ni les Français ni surtout M. Chirac ne la jugeaient nécessaire. La preuve c’est que, malgré l’hostilité de l’Union Africaine, la France s’est lancée à la conquête de la Libye, qui n’a jamais fait partie de son pré carré, parce que, pour des raisons différentes, M. Sarkozy et surtout M. Bernard Henri Lévy voulaient la peau de Kadhafi. On a donc inventé des arguments fallacieux, en toute connaissance de cause, et la presse internationale a embrayé sur ces inventions pour les rendre crédibles. Kadhafi, nous disait-on, avait déjà empilé 3.000 cadavres dans une morgue improvisée dans la banlieue de Tripoli ! Personne n’en a vu les traces après la prise de la capitale libyenne. Quant à l’Irak, il suffit de rappeler l’une des plus grandes supercheries de l’histoire du renseignement : la théorie des « armes de destruction massive » qui fit couler tant d’encre et conduisit Colin Powell à faire des déclarations qu’il regrettera toute sa vie ! Dans ses Mémoires, Bush a reconnu avoir commis des erreurs, des fautes graves qui sont à l’origine de centaines de milliers de morts et pourtant il n’a jamais été traduit devant un tribunal !

La paix qui tue !

Car la guerre tue ! Celle d’Irak a fait près de 5.000 morts et près de 8.000 blessés parmi les soldats des puissances alliées, pourtant superbement armés, et des milliers de « vétérans » sont enfermés dans des hôpitaux psychiatriques ou errent dans les rues des villes américaines. Quant à ses victimes irakiennes elles se comptent probablement par centaines de milliers, dont plus de 100.000 civils, et 1.500.000 Irakiens ont connu l’exil… Sans compter les tortures et les humiliations dont l’un des symboles est la prison d’Abu Ghraïa où de jeunes américains, ceux-là même qui étaient censés rétablir les Droits de l’Homme, se sont amusés à se livrer à des actes sadiques contre des soldats irakiens enchaînés !

Mais si la paix est la fin de l’occupation étrangère, alors la pax americana aussi tue. Elle tue parce que la guerre avait été conduite pour défendre, en priorité, les intérêts de l’envahisseur et non ceux des populations secourues et devait aboutir à amener celles-ci à ne plus troubler le sommeil du Nord. Elle tue parce que la « pacification »  de l’Irak a consisté à communautariser à outrance le pays, à armer les plus forts, à exclure du pouvoir la minorité sunnite, à affaiblir l’idée même de nation. Au sortir de la guerre, les Américains ont fait en Irak ce que sans doute aucun vainqueur n’avait fait à l’époque moderne : l’’armée vaincue a été tout simplement dissoute, comme si la responsabilité de la guerre était partagée entre Saddam Hussein et le fantassin réquisitionné par le pouvoir ! On ne s’étonne donc pas de la débandade de l’armée irakienne face aux milices de l’EIIL, puisqu’elle avait été dépouillée de ses éléments les plus expérimentés.  Depuis le départ des Américains, il meurt en moyenne 900 Irakiens par mois, tués dans des attentats dont les responsables sont rarement appréhendés. Mais les «  morts de la paix » intéressent moins les médias internationaux car il s’agit de « locaux », d’Irakiens victimes de querelles intestines dont on ne connait pas toujours les motivations. Aujourd’hui, malgré les check-points et l’omniprésence de l’armée dans les rues, le sentiment le mieux partagé reste la peur, plus grande encore qu’au temps de Saddam Hussein, au point que celui-ci est regretté par les Chrétiens d’Irak. Tout comme les Libyens regrettent Kadhafi puisque leur pays n’est pas seulement désorganisé économiquement, divisé en zones d’influence tribales et secoué de violences : en fait il n’existe plus politiquement !

Somalie, Libye, Irak et demain, peut-être, Afghanistan : on peut paraphraser ce qu’on disait jadis des Huns et dire que, désormais, partout où passent les forces militaires américaines, et aussi européennes, la démocratie, l’unité et la sécurité ne repoussent plus.


L’investissement le plus impressionnant laissé par les Etats-Unis à Bagdad est leur ambassade. C’est la plus grande ambassade américaine, et donc du monde, et c’est un signe : ce n’est pas une représentation diplomatique, c’est en fait une « concession », comme les Européens en possédaient en Chine au XIXe siècle. Israël, qui rêve de faire reculer jusqu’au Tigre et au Bosphore le mur qu’il a construit pour emprisonner les Palestiniens, pousse les Américains à de nouvelles aventures militaires, dans l’espoir sans doute que cette base yankee pourrait être le point de départ vers le démantèlement de la Syrie et de l’Iran et dans l’espoir d’installer dans ces pays une paix aussi meurtrière que celle qui sévit en Irak. En matière de «  paix meurtrière », l’Etat d’Israël est en effet un expert.

POUR EN FINIR AVEC L’EXPRESSION “ISLAMISTE” !


NB : Texte publié dans Sud-Quotidien du 13 juin 2014

Mérah, Nemmouche …et les autres !

Mehdi Nemmouche, principal suspect de la tuerie de Bruxelles, avait été abandonné par son père à l’âge de trois ans et a passé son enfance et son adolescence ballotté de foyers en familles d’accueil. Il n’a jamais connu d’autorité paternelle et sa première condamnation, pour vol avec violence, date de ses 19 ans. Avant d’être accusé d’assassinat, il avait passé plusieurs années en détention, connu plusieurs prisons françaises, et c’est en prison qu’il a rencontré la religion. Il ne parle pas arabe et n’avait aucune pratique islamique avant ses vingt ans…

Mohamed Merah aussi avait été abandonné par son père, à 5 ans, après le divorce de ses parents. Le père avait été interpellé pour trafic de cocaïne, et c’est la mère, qui assurera, seule, l’éducation et la survie des enfants. Merah bascule entre la délinquance et l’oisiveté (même l’armée ne voudra pas de lui !) et, avant même sa majorité, il a dans son casier judiciaire dix-huit (18) faits de violence. Comme Nemmouche, c’est en prison qu’il fait la découverte du Coran et qu’il s’est initié à la pratique religieuse. Si on le connait surtout  pour sa descente sanglante dans une école juive, il est rare en revanche qu’on souligne qu’avant ce forfait, il avait  assassiné, de sang froid et en connaissance de cause, trois militaires français qui, pour leur malheur, étaient tous les trois d’origine maghrébine. Il n’en voulait donc pas qu’aux Juifs …

Abubakr Shekan, dont le mouvement, Boko Haram, signe de monstrueux massacres de musulmans, principalement, à travers le Nigéria, s’abrite plus souvent derrière des gris-gris que derrière la parole de Dieu. Il est, nous dit-on, si souvent perdu dans les brumes de l’alcool, qu’il croit encore que l’Angleterre est toujours sous l’autorité de Margareth Thatcher.

Les milices des Signataires par le Sang de Mokhtar Bel Mokhtar qui ont écumé le nord du Mali, exécuté ou assassiné des populations islamisées depuis des siècles, se sont enrichies et armées par des moyens prohibés par l’Islam : la prise d’otages, le trafic de stupéfiants…

Eliminer l’espace et le temps…

Qu’y a-t-il de commun entre Merah, Nemmouche, les terroristes du nord-est du Nigéria et du Sahel malien ? Le mal-vivre ? Un combat politique dévoyé et devenu pervers ? Un penchant criminel irrépressible ? Une folie meurtrière ? Nenni ! Rien de tout cela ! Ce qu’ils ont en commun, c’est qu’ils sont tous des « islamistes », c’est en tout cas ce que clament les médias occidentaux et nous, comme les moutons de Panurge, nous les suivons et empruntons la même expression. Pourtant Nemmouche né aux confins de la Belgique, Mérah qui n’était presque jamais sorti du pays toulousain, le chef kanouri issu des savanes nigérianes et les rebelles arabes ou touaregs du Sahara appartiennent à des régions et à des cultures différentes, ils ne partagent même pas la même conception ni la même intimité de l’Islam  ! Qu’importe, car, comme l’avait écrit le palestino-américain Edward Said, « quand on parle de l’islam, on élimine plus ou moins automatiquement l’espace et le temps ». Qu’importe car pour l’Occident tous les problèmes du monde musulman ne s’expliquent que par l’Islam !

Mais si Merah et les autres sont musulmans, ils ne sont pas appelés « islamiques », comme on le dit pour qualifier la culture, les arts, voire la finance. Eux sont « islamistes » et la nuance est importante. L’Islam est en effet la seule religion pour laquelle on ait inventé deux termes différents pour désigner ceux qui se revendiquent de sa mouvance, selon la nature de leur engagement et si l’on pourfend l’intégrisme religieux, on ne voit que l’intégrisme musulman. Il existe pourtant des mouvements extrémistes chrétiens ou juifs, mais aucun d’entre eux n’est désigné sous les noms de « christianistes » ou « juifistes » pour les distinguer des pratiquants « orthodoxes ». On les désigne tout simplement sous le terme de « sectes » sans jamais insister sur  leurs fondements religieux, à peine reconnait-on les « sectes tueuses » et des sectes plus folkloriques. Ainsi les Chrétiens n’ont pas  à culpabiliser des dérives de Moon ou des atrocités et des enrôlements d’enfants de l’Armée de Résistance du Seigneur en Ouganda, ou des meurtres ou suicides collectifs du Temple du Peuple (923 morts en Guyana) ou des Davidiens (87 victimes à Waco). A l’inverse, les Musulmans sont sommés de s’excuser pour les attentats commis par Aqmi  ou par quelques loups solitaires ! « Chaque fois qu’un attentat est commis en France, observe en substance une Française « issue de la diversité », je prie pour que l’auteur ne soit pas  musulman… ».

Un racisme culturel ?

Le terme « islamiste » serait-il donc « une forme de reconversion du vieil racisme anti-arabe en racisme culturel » ? On a tendance à le croire lorsqu’on entend le directeur du Musée juif de Bruxelles affirmer, alors même que l’identité du coupable n’est pas prouvée, qu’il ne sert à rien de punir Nemmouche parce qu’il s’agit d’une guerre de civilisation ! En somme la violence serait dans les gènes de l’Islam ! Cela facilite tous les dénigrements et rend légitime le combat contre une religion jugée  intemporelle et monolithique, permettant, par exemple, au directeur d’un grand magazine français de proclamer, sans fioritures et sans risque, qu’il est « un peu islamophobe » !

Ceux que l’on appelle « islamistes » ne seraient pourtant que quelques milliers de combattants reniés par 99% des Musulmans. Aucune autorité religieuse musulmane, de Qom à Al Azar, de La Mecque à Fez, aucun chef d’Etat de l’OCI (Organisation de la Conférence Islamique), ne leur ont manifesté un soutien et du reste, l’islam condamne « ceux qui émiettent leur religion et se divisent en sectes » (Coran vi, 159). Ils trahissent les principes parmi les plus sacrés de l’Islam et notamment, le respect de la vie humaine  (« Ne tuez point la vie qu’Allah a rendue sacrée », Coran, XVII, 33). Leur connaissance des idées qu’ils invoquent est superficielle ou erronée : le « djihad » est d’abord un combat intérieur et celui qu’ils mènent est dirigé contre des populations islamisées depuis des siècles ; il n’y a pas une  charia unique, codifiée et celle qu’ils cultivent abime l’héritage musulman. Il ne suffit pas de se revendiquer de l’Islam pour être musulman et, comme le rappelle Al Ghazali, prier et jeuner par ostentation n’est aucunement piété mais espèce d’idolâtrie du Moi. Par son étymologie même, Boko Haram – (qui signifierait  « l’école est illicite ») – est à l’opposé de la Tradition puisque le Prophète (PSL) enseignait qu’il faut aller chercher le savoir jusqu’en Chine !


Pourquoi donc s’évertue–t-on à rattacher à l’Islam des hommes que les Musulmans, dans leur écrasante majorité, ne reconnaissent pas comme frères en religion ! Plutôt que de stigmatiser toute l’Umma islamique, pourquoi ne pas, solidairement, lutter contre ceux qui ternissent non l’image d’une religion, mais celle de l’homme ? Ceux qui lancent des bombes dans des foules pacifiques, ceux qui violent des femmes et des enfants, ceux qui enlèvent, enchainent et vendent d’innocentes jeunes filles, ceux qui sèment la détresse et la misère au sein de leurs communautés ne méritent pas d’être nommés en référence à l’Islam, même pas par le néologisme contesté d’ « islamistes ». Tous ceux là  ne devraient avoir droit qu’à un nom : celui de salauds !