Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

mercredi 11 juin 2014

LA LOI SUR LA PARITE, UNE LOI MORT-NEE ?

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" du 16 mai 2014


Il y a très exactement quatre ans, l’Assemblée Nationale du Sénégal votait une loi dont les premiers articles portaient ces mentions :
- Article 1 : « La parité absolue homme-femme est instituée au Sénégal dans TOUTES (c’est nous qui soulignons) les institutions totalement ou partiellement électives ».
- Article 2 : « …les listes de candidature doivent être conformes aux dispositions ci-dessus sous peine d’irrecevabilité… ».

Les considérations citées à l’appui de cette loi faisaient état de la nécessité de garantir aux femmes une participation égale à la vie politique et dans une grande envolée lyrique, le ministre de la justice annonçait l’avènement d’une « justice sociale et la reconnaissance de l’importance de la position et de l’implication de tous pour relever les défis de construction et de développement ».      

Pourtant cette loi n’était pas d’une nécessité absolue et l’égalité imposée par le haut pouvait avoir le plus mauvais effet. Elle pouvait n’aboutir qu’à mettre en place une assemblée paritaire composée pour moitié de femmes dont la plupart ne sont ni préparées à leur fonction ni motivées pour la remplir. Il y a de par le monde des pays qui se sont passés d’une loi similaire et où pourtant la participation des femmes à la prise de décisions politiques est à la mesure de leur contribution effective à la société. Mais au Sénégal on a le fétichisme des textes réglementaires et, surtout sous Wade, celui du quizz. Avec plus de 42% de femmes élues au parlement en 2012, le Sénégal était au sixième rang mondial en matière de représentation féminine et, sans doute cela suffisait à notre gloire…

Le geste restait néanmoins audacieux et a été salué de par le monde comme une avancée démocratique exceptionnelle dans un pays en développement. La loi a donc été votée à la quasi unanimité par l’Assemblée Nationale où, pour une fois, majorité et opposition ont parlé de la même voix, trois députés seulement (1) ayant exprimé leur désaccord. Le Sénat a, plus unanimement encore, suivi les députés et la proclamation s’est faite dans les délais les plus courts…

Il restait la mise en application et c’est l’épreuve essentielle pour une loi. On s’attendait donc à ce que tous ceux qui avaient applaudi à cette loi, vanté ses avancées et l’espérance qu’elle faisait naitre, poussent des cris d’orfraie, défilent dans les rues, publient des motions à l’annonce qu’aux prochaines élections locales, les premières organisées depuis son adoption, une entité de notre pays, Touba en l’occurrence, refuse de s’y plier et présente une liste à l’ancienne, composée uniquement d’hommes. On s’étonne déjà que l’administration se soit comportée en Ponce Pilate et se soit contentée de transmettre la patate chaude à la CENA. On ne peut comprendre  qu’aucune des personnes inscrites sur ces listes n’ait eu l’audace de rappeler qu’elles allaient à l’encontre de la loi et, pour le moins, de décliner l’offre d’y figurer. On a du mal à faire grâce aux organisations de la société civile dont certaines avaient déjà entrepris la formation des femmes pour les préparer à leurs nouvelles responsabilités, et qui font profil bas et se contentent de vagues déclarations de principe.

Mais comment accepter le silence, la complicité de membres de l’institution qui a  la responsabilité de voter les lois, face à une tentative d’attentat qui vise l’objet même de sa mission ? Faire exploser la loi sur la parité au moment où précisément elle est mise à l’épreuve, c’est faire exploser le principe même d’une règle juridique d’application obligatoire. C’est aussi, aux yeux du monde entier, mettre en doute notre parole et la crédibilité de nos institutions. Le vote d’une loi est en effet, souvent, l’occasion d’une profession de foi et dans le cas qui nous concerne ici, elle était adressée aux Nations-Unies (Convention du 18-12-1979), à l’Union Africaine (Protocole de la Charte Africaine des Droits de l’Homme et des Peuples du 11-7-2003) et à d’autres organismes de moins grande envergure comme le REFRAM qui rassemble tout de même 28 autorités francophones de régulation. La loi sur la parité avait suscité leurs vivats, son viol provoquera leurs quolibets.  

Mais, bien évidemment, le débat est d’abord national et c’est le respect de la mission confiée à une institution qui est censée être l’émanation du peuple qui est mis en cause. Même si les députés qui composent la présente Assemblée Nationale ne sont pas, dans leur écrasante majorité, ceux qui avaient voté la loi sur la parité homme-femme, ils savent, par le principe de la continuité de l’Etat, qu’elle reste une loi de la République tant qu’ils ne l’ont pas abolie. Qu’une personnalité aussi éminente que le vice-président du Parlement puisse ignorer que la loi est impersonnelle, générale et permanente, qu’elle s’impose à tous les individus de la société est un signe bien plus inquiétant qu’une assemblée à dominante masculine. L’honorable député dont les sorties tonitruantes ne sont pas toujours, dans la forme comme dans le fond, à la hauteur du symbole qu’il incarne, confond le statut d’un bien immeuble à celui d’un citoyen dans un Etat qui prétend être une «  république laïque, démocratique et sociale » (Article 1 de la Constitution). Il manque à sa mission s’il ne rappelle pas, à toutes les occasions, que « toutes les personnes sont égales devant la loi » et qu’ « aucun des droits souverains de l’Etat ne peut être transféré à autrui ».

Voila pourquoi il est du devoir politique, mais aussi et surtout éthique, de nos députés de faire entendre leur voix lorsqu’une loi est bafouée !


(1) Il s’agit des députés Oumar Kh. Dia, Wack Ly et M. Diop Djamil. 

POURQUOI ETAIT-IL PARTI ?

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" du 14 mai 2014

Pourquoi donc était-il parti ? Pourquoi  d’ailleurs partent-ils tous ?

Tout le monde se pose la question de savoir quelles sont les motivations du retour de Wade, mais personne ne s’interroge sur les raisons de son départ du Sénégal, dès après sa défaite, en 2012, et pourquoi c’est seulement au bout de deux ans qu’il revient dans le pays qui l’avait adulé, l’avait enrichi, lui et sa progéniture, mettant ainsi fin à un exil que rien ne justifiait et au cours duquel il  est resté quasi indifférent aux difficultés et aux inquiétudes de ses concitoyens. On devrait pousser la réflexion plus loin et s’interroger sur ce paradoxe bien sénégalais : pourquoi un ancien chef d’Etat, pourtant battu à la régulière au cours d’élections démocratiques, abandonne-t-il son pays, son parti, ses militants, sa maison, pour s’expatrier à l’étranger, comme s’il désavouait le choix de son peuple ? Pourquoi, plus généralement encore, les anciens présidents sénégalais, Wade et avant lui Senghor puis Diouf, nous fuient-ils comme si nous étions des pestiférés, dès le moment où ils cèdent ou perdent le pouvoir, alors même que leur démission ou leur défaite n’ont rien d’infamant et constituent même une exception dont ils devraient se glorifier ? L’exil de Senghor était, d’une certaine manière, assez prévisible, tant était fort l’attachement sentimental, culturel et même familial du président-poète à l’égard d’un pays où s’était forgé son esprit, car comme le dit un adage pulaar, ceux qui éduquent l’emportent toujours sur ceux qui mettent au monde. L’exil de Diouf était plus surprenant, celui de Wade totalement injustifiable puisqu’il était le seul parmi les trois à disposer d’un domicile fixe et connu à Dakar, bien avant son arrivée au pouvoir.            
                   
La mise en scène d’un retour

Mais, évidemment, Abdoulaye Wade ne fait jamais ce qu’on attend de lui et la surprise aurait été qu’après la fin de son mandat, il se contente d’être un retraité nonagénaire, certes prestigieux, mais soucieux de se placer désormais au dessus des factions et de préserver la dignité de son statut. Il est donc parti, mais contrairement à ses prédécesseurs, son exil relevait du théâtralisme plutôt que du désir de ne pas interférer dans la gestion de son successeur. Wade a une mentalité de joueur et use toujours des mêmes combinaisons. Il va donc tenter de rééditer son coup de décembre 1999, quand porté par toute l’opposition réunie autour de lui, il  était revenu de son exil de France –  déjà ! – pour aller à l’assaut du régime de Diouf. Et pour ajouter au spectacle, il fera de ce qui n’est qu’une formalité, son vol retour, un feuilleton où le suspense le dispute à l’imbroglio !

Malheureusement pour lui, il n’est plus un opposant susceptible de conquérir le pouvoir et qui peut encore faire illusion, mais un ancien chef d’Etat, qui traine son bilan comme un boulet. Il a manqué de réalisme en oubliant que les deux tiers des Sénégalais lui avaient claqué la porte, définitivement, il y a seulement deux ans. Il ne réalise même pas que si son parti se meurt, au point que le chantier de son énorme salle d’apparat se rouille dans l’indifférence générale depuis deux ans, c’est qu’il lui tient toujours la bride et ne laisse aucune initiative à ses adjoints.  Il a, comme d’habitude, manqué de mesure en prétendant que, cette fois encore, ils étaient « des millions » à l’accueillir. Mais, surtout, il a manqué de « conscience professionnelle ». Quand on a été chef d’Etat, premier citoyen d’un pays, il y a un comportement qu’on n’a plus le droit d’afficher, il y a des mots qu’on ne doit plus jamais prononcer. Cela, au moins, ses deux prédécesseurs, Senghor et Diouf, l’avaient compris. Ils avaient compris que leur conquête principale était qu’ils étaient désormais des hommes libres et qu’ils pouvaient enfin se passer de se battre pour l’argent ou pour le pouvoir.
Wade revient, non comme on rentre à la maison, mais pour faire la tournée des grands ducs, tenter une fois encore de se concilier les bonnes grâces des chefs religieux, qui tous, prudemment, ont fixé les limites de leur appui. Il rentre pour récupérer l’argent qu’on lui avait offert au titre de chef d’Etat et qu’il avait, sans vergogne, gardé pour lui. Il rentre pour faire pression sur la justice qui doit se prononcer sur les turpitudes réelles ou supposées de son fils, alors que d’autres Sénégalais, qui l’avaient soutenu et accompagné, sont passés sous les fourches caudines sans qu’il élève la voix. Il est vrai qu’à ses yeux seul son fils fait le poids pour reprendre son flambeau.

Quand on a été, comme lui, le premier Président de la République sénégalaise élu de manière libre, démocratique et transparente, on se déshonore en prétendant que l’on peut faire tomber le pouvoir en lançant la rue contre ses  symboles… Même en 1999, Wade  s’était gardé de se présenter en séditieux, se contentant de proclamer que l’accueil populaire qui lui avait été réservé équivalait à une victoire au 1e tour !

Défendra-t-il « sa » loi sur la parité ?

Mandela s’était bien gardé de vouloir gérer l’Afrique du Sud par personne interposée et si un jour il avait revêtu un T-shirt  pour marquer son opposition  à la politique de son successeur en matière de santé, c’est qu’il s’agissait rien de moins que de la survie même de son peuple. On eût ainsi aimé que Wade, d’une manière ou d’une autre, plutôt que d’enflammer les badauds, rappelât aux siens et à ceux qui gouvernent, la nécessité de respecter la loi sur la parité homme-femme qui a été une des grandes avancées de son régime…

Tous les  chefs d’Etat africains sortants ne peuvent pas avoir l’aura de Mandela, mais tous peuvent tenter de suivre les pas de Nyerere, Senghor, Masire, Chissano, Diouf ou Konaré et prêcher à l’issue de leurs mandats, le respect des institutions,  la paix et de l’union.


C’est triste à dire, mais Wade pourrait finir comme il a commencé : en comploteur !