Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

jeudi 21 novembre 2013

LE SENEGAL, CHAMPION DU MONDE DES FETES RELIGIEUSES !

NB Texte publié dans "Sud-Quotidien" du 16 novembre 2013

 Le Sénégal a un calendrier œcuménique. Ce qui se fait chez nous en matière de fêtes religieuses ne se fait ni au siège d’Al Azar, au Caire, ni dans la capitale de la Chrétienté, Rome. Notre pays est certainement le seul au monde à ériger en jours fériés, chômés et payés, toutes les dates commémoratives de tous les  grands évènements musulmans (Tamkharit, Maouloud, Korité, Tabaski) et chrétiens (Pâques, Ascension, Pentecôte, Assomption,  Toussaint, Noël). Qu’importe que  9/10 de la population soient incapables d’expliquer le sens ou la signification de certaines d’entre elles, chez nous la règle c’est que toute fête légale donne obligatoirement droit à un congé payé, ce qui est loin d’être une loi universelle. Nous avons tellement de fêtes religieuses que certains de nos hôtes, ambassades  ou institutions internationales, ainsi que la grande majorité des travailleurs indépendants ignorent royalement certaines d’entre elles. A ces fêtes religieuses, s’ajoutent des fêtes à caractère laïc : le Jour de l’An, la fête nationale, la Fête du Travail ! Au total donc, treize  jours de vacances auxquels il faudrait  ajouter les fêtes concédées en cas de désaccords, fréquents, dans la communauté musulmane, les « ponts » généreusement jetés entre certaines fêtes et les week-end qui les suivent ou les précèdent. Sans compter, enfin, que du fait du caractère lunaire du calendrier islamique, une fête musulmane peut être commémorée deux fois dans la même année civile !

Bref, une année au Sénégal peut compter près d’une  vingtaine de jours légalement chômes et payés.

Déséquilibre

La première incohérence de ce calendrier, c’est son déséquilibre et son pari pris. C’est en réalité un calendrier colonial,  extraverti,  calqué sur celui de la France et  que l’on conserve comme une relique du passé. L’un des signes de cette anomalie, c’est que jusqu’à une date relativement récente, la Tamkharit, qui commémore les débuts de l’année musulmane, n’était pas reconnue au Sénégal comme une fête légale. Mais si la France a remis en cause ses fêtes religieuses, transformant par exemple le lundi de Pentecôte en journée fériée mais non chômée pour venir en aide aux personnes âgées et aux handicapés,  le Sénégal reste cramponné à l’héritage qu’elle lui a laissé ! En ne tenant pas compte d’un rapport des forces et d’un contexte socioculturel très différents de ceux de notre ancienne métropole, notre calendrier crée une distorsion injustifiable au regard de l’équilibre démographique. Cela se traduit par la légalisation de six fêtes chrétiennes contre 4 musulmanes, alors que selon des estimations, il est vrai jamais justifiées, la communauté chrétienne ne représenterait que 5 à 6 % de la population. C’est une situation que l’on ne retrouve nulle part en Afrique puisque des pays qui, comme le Mali ou la Gambie ont, approximativement, la même répartition religieuse que notre pays ne s’alignent pas sur notre calendrier, et que ceux qui, comme le Gabon ou le Kenya, sont dans la situation inverse n’accordent pas à leur composante musulmane les privilèges que le Sénégal accorde à sa minorité chrétienne. Cette disparité n’est même pas une exigence des Chrétiens, ce sont en réalité les gouvernants qui n’ont jamais eu le courage de mettre en chantier une véritable réforme de notre calendrier.

Excès de zèle…

Mais ce calendrier a aussi la particularité de faire preuve d’un zèle religieux que l’on ne retrouve, paradoxalement, ni dans le monde arabo-musulman, ni surtout dans des pays de vieille et profonde culture chrétienne. Aux Etats-Unis et au Canada, où le lundi de Pâques est un jour comme un autre, dans le nord de l’Europe et particulièrement dans les pays scandinaves, dont les drapeaux portent pourtant le signe de la croix, ni l’Ascension ni la Toussaint, par exemple, ne donnent droit à des congés payés. Même dans les pays européens qui restent les bastions du catholicisme, comme la Pologne, l’Irlande, l’Espagne ou l’Italie, il y a moins de fêtes chrétiennes chômées et payées qu’au Sénégal. Ainsi, l’Espagne, célèbre par la ferveur exceptionnelle de ses processions religieuses, et l’Italie qui abrite le Vatican, ne fêtent pas le lundi de Pentecôte, pas plus que l’Irlande ou la Pologne ne chôment le jour de l’Ascension.

Pour faire bonne mesure, signalons enfin que dans certains pays très majoritairement musulmans, comme l’Egypte, la Tunisie ou l’Algérie, la Tamkharit ou le Maouloud ne donnent pas lieu nécessairement à des jours fériés.

L’intrusion des politiques

C’est enfin un calendrier qui est devenu un enjeu démagogique et de surenchère politique. Le projet d’ériger la date du Magal en une 11e fête religieuse, chômée et payée, n’est pas une initiative des religieux, il a été porté d’abord par des politiques, dont certains ne sont même pas d’obédience mouride, tous plus préoccupés de plaire aux marabouts mourides que d’inciter les Sénégalais au travail. Il est évidemment plus facile d’ajouter une bouture à un tronc déjà surchargé que de s’attacher à mettre au point un arbre sain et amélioré. Cette initiative, sans risque car pouvant s’appuyer sur la menace concentrationnaire qui pèse sur nos épaules, pourrait ouvrir la boite de Pandore, sans même la garantie de répondre à l’attente de ses initiateurs. Si le projet était conduit à terme, ce serait la première fois qu’une fête légale est surajoutée au calendrier, non au profit de l’ensemble d’une communauté de croyants, mais à celui d’un segment, important certes mais parcellaire, de l’une des deux composantes religieuses du pays. Il pourrait faire jurisprudence et il n’est pas exclu qu’un jour une autre confrérie, voire une portion de confrérie, invoquent les mêmes raisons et réclament les mêmes privilèges. Enfin ce projet ne tient pas compte de cette réalité qui est que, contrairement aux autres fêtes religieuses musulmanes, le Magal, qui sera célébré à deux reprises au cours de l’année 2013, n’est pas un évènement domestique qui se fête à la maison. Il impose des déplacements, plus ou moins longs, vers une même destination et se satisfait rarement d’un seul jour de liberté. Sans compter que la très grande majorité de ceux  qui y participent  ne sont pas des salariés du public, mais des travailleurs indépendants qui n’ont nul besoin de dispositions légales, qu’ils ne respectent d’ailleurs pas souvent pour d’autres fêtes religieuses. Le Magal n’a pas besoin et ne se suffit pas d’un jour de vacance et il aurait été plus judicieux d’organiser et de garantir l’octroi de permissions déductibles du congé. En revanche le seul jour de liberté accordé pour commémorer une fête aussi éprouvante et disputée que  la Tabaski mérite un débat.

Elargirsans accroitre


Comme on le voit, le véritable enjeu ce n’est pas d’ajouter une fête à nos fêtes, mais de conduire une véritable réflexion sur le sens et le nombre de jours chômés, respectueuse de la diversité des croyances et dont les conclusions seraient compatibles avec une économie en développement. Notre calendrier  festif ne fait pas assez de place à des évènements ou des symboles non religieux et qui dans un pays en construction peuvent être aussi des occasions de recueillement, de fraternité, donc de fête.  C’est donc en fonction d’une double exigence, élargir sans accroitre, que nous devons procéder à sa réforme. Si nous ne nous contentons que d’allonger la liste déjà longue  de nos fêtes religieuses, nous ne ferons que renforcer l’idée que notre pays s’éloigne des principes de laïcité qui sont un des fondements de sa constitution. L’érection du Magal en fête légale chômée et payée ne donne pas la garantie que les absences seront mieux gérées, mieux contrôlées, mais, surtout, en portant à un niveau qui n’est atteint nulle part ailleurs le nombre de journées chômées et payées, elle s’inscrit en faux contre le culte du travail exalté par celui que l’on prétend honorer !

LAMPEDUSA, LEONARDA : LA VIOLENCE DES PUISSANTS

Texte publié dans "Sud-Quotidien" du 24/10/2013

 « La guerre ne se fait pas qu’au couteau ! »

De même que, selon un proverbe diola, la guerre ne se fait pas qu’au couteau, de même la violence, et notamment celle des puissants et des forts, ne s’exprime pas qu’au moyen de grenades ou de kalachnikovs. Elle peut être sournoise, sophistiquée, presqu’imperceptible au commun des mortels, et en tout cas ignorée ou justifiée par les médias, sauf si elle atteint certaines proportions ou touche à des cibles sensibles. Les médias prêtent plus d’attention aux larcins des Roms, aux règlements de comptes entre délinquants et, bien sûr, aux attentats des extrémistes « islamistes » qu’à la violence exercée par les patrons qui mettent au chômage des travailleurs, alors que leurs entreprises prospèrent, aux « bavures »militaires contre des populations civiles, aux rapts et à la torture d’opposants pratiqués par les Américains. En l’espace de quelques semaines, l’actualité médiatique nous a offert deux visages de la violence des nantis, fort différents, mais qui révèlent au grand jour les contradictions de ceux qui imposent leur volonté au reste du monde.

Il y a eu d’abord les naufrages de Lampedusa et du Canal de Sicile qui ont fait plus de 400 morts et qui, d’une certaine manière, constituent une forme de terrorisme. C’est une violence chronique, omniprésente, qui se banalise et soulève rarement l’indignation. Les drames de la Méditerranée ne sont pas que la conséquence de l’incurie des gouvernements du Sud. Ils sont aussi le fruit de la pression que les puissants, ceux de sa rive nord et leurs alliés, exercent sur nos pays, en leur imposant des accords iniques, sans leur donner les moyens d’assumer leur responsabilité. Ils découlent  par ailleurs des pressions que ces pays exercent à la fois sur les navires qui empruntent ce passage très fréquenté et qui, souvent, hésitent à faire du zèle pour secourir des victimes encombrantes, sur la partie éclairée de l’opinion publique et sur les organisations humanitaires dont les voix sont contenues par des menaces et des chantages. Ce n’est pas le désir de profiter des allocations familiales qui pousse les populations du Sud à fuir, c’est tout simplement celui d’échapper à la misère ou à la guerre et, pour contenir ce désir légitime, les pays européens n’ont pour réponse qu’une politique exclusivement répressive. Ils mettent en place des moyens de prévention et de secours  dérisoires, des structures d’accueil misérables et, pour couronner le tout, tolèrent voire cultivent la diabolisation des immigrants. C’est un travail de Sisyphe puisqu’une fois rendus à leurs pays respectifs, les rescapés des naufrages et des camps de détention n’ont qu’une envie : repartir.

Cette forme de violence qui s’exerce contre la liberté de circulation et contre l’exode des pauvres et des déplacés de guerre s’exprime de plus en plus par l’endiguement et se manifeste par l’édification de barrières réelles ou fictives mais toutes pleines de périls. La Méditerranée, autrefois trait d’union entre l’Europe et l’Afrique, est devenue un énorme fossé qui défend tous les accès d’un château-fort, miroir aux alouettes aux pieds duquel s’écrasent toutes les espérances. Mais, ailleurs, la barrière est loin d’être symbolique, elle est au contraire matérialisée par des murs et des défenses électriques. Il y a eu d’abord le mur construit par Israël, qui a la particularité d’empiéter sur le territoire palestinien, séparant quelquefois le paysan de son verger, de son cimetière, de son école voire des autres membres de sa famille. Il y a le mur métallique construit par l’Espagne, en terre africaine, pour barrer la route aux pauvres sahéliens qui ont survécu à la traversée du Sahara. Il y a désormais le mur construit par la Grèce, entre elle et la Turquie et, au-delà, entre elle et tous les peuples d’Orient, et qui sera bientôt prolongé par un mur bulgare. Il y a, enfin, le mur construit par les Etats-Unis, qui furent longtemps le pays de l’espoir, pour arrêter la déferlante latino venue du Mexique. Vaines barrières ! Le mur israélien n’a fait que raviver la colère des Palestiniens et briser l’espoir d’une paix juste et durable. La Grèce avait oublié qu’elle était ourlée d’iles dont chacune constitue une parcelle et une porte d’Europe. L’Espagne renie son histoire, elle qui a peuplé toute l’Amérique et qui, il n’y a guère longtemps, servait de foyer de recrutement de travailleurs à toute l’Europe. Quant aux Etats-Unis, ils devraient savoir que le ver est déjà dans le fruit et que dans deux ou trois générations, leurs propres latinos constitueront la première communauté américaine…

Après moi, le déluge !

Cette violence des nantis présente un autre visage exposé jusqu’à l’hystérie depuis une semaine sur tous les médias de France. Elle s’exerce non contre des groupes humains, des foules et des peuples, mais contre un individu, une collégienne, cueillie d’un bus scolaire pour être expulsée vers un pays qu’elle ne connait pas, mais qui est celui de ses parents. Soixante millions de Français tremblent devant les menaces d’invasion de 15.000 Roms. Parce qu’elle touche à un sanctuaire, l’expulsion de la petite Leonarda a fait plus de bruits que les rapatriements forcés d’immigrés africains, baillonnés, attachés à leurs sièges et quelquefois étouffés dans des charters. Mais si l’émotion soulevée par cette affaire est justifiée, elle ne doit pas cependant nous faire oublier qu’elle répond d’abord à une guerre de positionnement interne qui met en péril la cohésion du gouvernement français, décrédibilise son chef débriefé par une gamine de 15 ans, et qu’au final, on a fait payer à Leonarda le comportement de son père…

La violence des nantis, quel que soit son visage, est symptomatique des contradictions des sociétés occidentales qui se sont érigées en gardiennes des droits de l’homme. Elle est le fait d’hommes et de gouvernants que l’on croyait les moins enclins à la produire. Il y a un paradoxe que l’Europe ferme toutes ses portes à des peuples et à des pays qu’elle a longtemps exploités et qui ont combattu pour défendre sa liberté, qu’elle soit prête à livrer la guerre en Syrie mais refuse d’accepter ceux que cette perspective fait fuir. Il y a un paradoxe que ce soit Israêl, le peuple pour lequel le mot ghetto a été inventé, qui, aujourd’hui mette les Palestiniens dans une prison à ciel ouvert. Il y a un paradoxe que les Etats-Unis, bâtis par des immigrés, refusent de partager leur sol avec les peuples autochtones de l’Amérique. Il y a un paradoxe que la Grèce ou la Bulgarie, deux des nations les plus pauvres de l’Union Européenne, se ruinent à servir de garde frontières, tout en sachant qu’elles ne sont pas, loin de là, la destination des immigrants. Il y a un paradoxe que MM. Lopez, l’élu FN de Brignoles, Vals, le ministre socialiste qui se vante d’avoir expulsé plus d’étrangers que ses prédécesseurs, Sarkozy, l’auteur du discours de Grenoble, tous fils d’immigrés et bien intégrés, ferment la porte de la France alors que c’est son ouverture qui leur avait redonné la dignité !


C’est ce qui s’appelle « après moi le déluge ! »