Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

dimanche 28 juillet 2013

"MOI LAURENT FABIUS, DIRECTEUR DES ELECTIONS DU MALI;;;"

NB : Texte publié dans "Sud Quotidien" (édition du 25 juillet 2013)

C’est peut-être excessif de dire, comme l’a fait Tiébilé Dramé, que le ministre des Affaires Etrangères de la France exerce aussi, par delà les mers, les fonctions de directeur des élections au Mali. Il n’en demeure pas moins que M. Fabius adopte vis-à-vis du Mali et sur un sujet qui relève de la compétence de ce pays, un ton comminatoire qu’il ne se permettrait pas s’il s’agissait de l’un des pays de l’Union Européenne. M. Dramé n’est pas n’importe qui, et pas qu’un candidat déçu, il a été le négociateur en chef des accords transitoires entre le gouvernement malien et les rebelles. Sa colère est fondée sur le fait que le calendrier électoral imposé plus que choisi par le Mali n’est  ni consensuel ni réaliste, de l’avis même du président de la commission qui est, en principe, seule habilitée à le fixer. Sa colère est aussi fondée sur le fait que les autorités françaises n’ont guère ménagé la susceptibilité malienne – (et les faibles sont souvent, dit-on, susceptibles) – et, au contraire, se sont immiscées publiquement dans un débat qui ne les concernait pas de prime abord. Forts de leur victoire solitaire, puisqu’aucune autre puissance ne s’était engagée à leurs côtés, euphoriques après l’accueil délirant réservé au président Hollande sur le sol malien (« le plus beau jour de ma vie politique ! »), elles donnaient l’impression que  la souveraineté malienne n’était plus qu’une fiction. « Je serai intraitable ! », avait tonné François Hollande pour signifier que la date des élections maliennes était inscrite sur le marbre. Son ministre, Laurent Fabius, enfonçait le clou en précisant que c’était sans appel. C’était une faute de goût, et même une erreur diplomatique, parce qu’il était facile de parvenir au même résultat par des pressions plus discrètes et donc plus productives. Le français est par excellence une langue de nuances et de subtilités et des formules du genre : « Il n’appartient pas à la France … mais… », ou encore « Le peuple malien a décidé librement... », appuyées par des notes fermes, auraient suffi pour faire comprendre à Bamako quelle était la volonté du pays qui l’avait sauvé du désastre.

Il est donc difficile de comprendre l’intransigeance et le fétichisme des dates affichés à Paris, car, pour une fois, les fétichistes viennent du Nord. Cela changerait-il quelque chose si le Mali votait en septembre ou octobre, et le pays serait-il au bord de l’implosion au point que, le 28 juillet très précisément, Dioncounda Traoré cesserait d’être un président de transition pour devenir un dictateur illégitime ? L’hivernage ne peut être invoqué à tous les coups pour précipiter le vote, puisque dans le sud du Mali, on est en plein hivernage pendant le mois de juillet, et qu’au nord, l’hivernage n’existe pas ! Quant aux autres raisons invoquées pour estimer qu’une élection bâclée est préférable à une élection retardée, elles sont offensantes aux droits des populations maliennes. Ainsi selon le sous- secrétaire général  de l’ONU en tournée au Mali, le Français Hervé Ladsous, il n’y a, après tout, que 10. 0000 électeurs dans la région de Kidal, comme pour dire que, quoi qu’il s’y passe, cela ne peut modifier le résultat des élections ! D’abord les chiffres sont contestables, et même si personne au fond ne connait le résidu électoral au Nord, les estimations les plus réalistes le fixent tout de même à quelques dizaines de milliers de citoyens. Mais qu’importe ! La guerre au Mali ne découle-t-elle pas précisément du sentiment de mépris et d’abandon qui habite cette minorité, et n’est-ce pas cette minorité qui, malgré ses faibles effectifs, a mis en péril l’unité nationale et menacé Bamako ? Les élections maliennes n’ont donc de sens que si elles permettent aux Maliens du nord d’exprimer leur choix, de se sentir concernés et de reconnaître les résultats de la consultation. Au fond, il est plus important pour l’avenir de la nation malienne, que le vote soit mieux garanti et plus populaire à Kidal, où sa viabilité est mise en doute, qu’à Sikasso où le problème ne se pose pas.

En visite à Paris, le Secrétaire Général de l’ONU a regretté qu’on n’ait pas créé au Mali une commission vérité et réconciliation. C’est dire que le problème malien est décidément mal connu au plus haut niveau, car cette instance existe et fonctionne depuis des mois. Mais au moins, cela met en évidence la nécessité et le préalable d’un début de dialogue inter-malien avant toute confrontation, même électorale. Kidal était restée un sanctuaire, de par la volonté de l’armée française, comme si une ligne d’armistice avait été tracée entre le nord et le sud. Ce n’est pas seulement l’armée malienne qui y était absente, avec, en plus de mauvais souvenirs – (dont celui difficile à faire oublier, d’une troupe en débandade) –  c’est l’Etat malien qui n’était plus présent à Kidal depuis un an et demi. L’Etat ne peut pas débarquer du jour au lendemain pour organiser un vote, sans aucun appui local, sans avoir au préalable entrepris une campagne d’explication, républicaine, pour rassurer, donner des garanties, ramener la confiance entre les composantes de la population. Il a donc manqué cette étape, et cela seul suffisait pour différer de quelques semaines la date des élections.

On est à moins d’une semaine d’une consultation décisive pour l’avenir du Mali. Elle aura sans doute lieu, les gouvernements malien et, surtout, français auront tenu le pari de la date, mais rien ne permet de présager qu’elle sera démocratique, libre et égalitaire à travers tout le territoire malien. Pour son premier débarquement, sous escorte militaire internationale, le nouveau gouverneur de Kidal a du se frayer le chemin entre partisans et adversaires du retour de Bamako, selon les mêmes clivages que ceux qui avaient conduit à la guerre. Il a donc du rebrousser chemin au bout de quelques heures, ce qui n’est guère glorieux pour le prestige de la plus haute autorité régionale et le symbole du pouvoir central. A moins d’une semaine des élections, seuls trois (3) des vingt sept (27) candidats en lice ont pu fouler le sol de Kidal, et pour cela, il faut à la fois des moyens et une bonne protection militaire. Aucun d’entre eux n’a pu évidemment réunir des militants, tenir un vrai meeting, exposer un programme. Ils n’effectuaient que des apparitions furtives et symboliques, voire protocolaires, auprès d’autorités administratives balbutiantes et de chefs coutumiers peu loquaces. Il n’y aura donc pas de campagne électorale dans la région  du nord, alors  que c’est là qu’elle s’imposait le plus, du fait de l’inexistence de relais audiovisuels et de la nécessité de convaincre les plus réticents parmi les Maliens. Des affrontements entre composantes de la population ont fait des morts à Kidal, des agents électoraux ont été pris en otage pendant quelques heures, et leur libération ne met pas fin à l’insécurité ! A la violence meurtrière qui secoue le nord, il faut ajouter le dépit des maliens de l’extérieur qui se plaignent de ne pouvoir disposer de leurs titres de vote. Pour mémoire, et pour abonder dans le sens de l’envoyé  spécial de l’ONU, rappelons qu’en matière d’effectifs d’électeurs, Montreuil, en France, pèse plus lourd que toute la région de Kidal. Enfin les maliens réfugiés dans les pays limitrophes, qui eux sont des centaines de milliers, ont peu de chance de pourvoit exercer pleinement, et en connaissance de cause, leurs droits civiques.

C’est partout donc l’incertitude, la suspicion et le doute. Il en sera ainsi chaque fois que nous nous soumettrons au diktat de l’étranger, en oubliant  que « l’importance est à notre discrétion ».  

Les élections du 28 juillet pourraient donc aboutir à ce paradoxe : ceux qui s’étaient battus pour que le Mali change, pour une gouvernance plus juste, plus équilibrée, plus respectueuse de la diversité socioculturelle du pays, ceux dont les frustrations avaient conduit à la révolte ainsi que les principales victimes de la guerre, tous ceux-là pourraient ne pas y participer, faute de paix ou de conviction ! Peut-on espérer rebâtir l’espoir sur la frustration et la colère ?

mercredi 17 juillet 2013

AFFAIRE HISSENE HABRE : UNE HISTOIRE D’ABUS DE FAIBLESSE…

NB Texte publié dans "Sud Quotidien" (édition du 4 juillet 2013)

Dans le code pénal français, l’abus de faiblesse est défini comme le fait d’exercer sur une personne dont la particulière vulnérabilité est apparente, des pressions dans le but de la conduire à faire des actes préjudiciables pour elle. C’est en vertu de cela que des personnes ont été mises en examen pour  s’être enrichies en profitant de l’âge et de la (supposée) fragilité mentale de la femme la plus riche de France, Liliane Betancourt.

S’il existait un tribunal des Nations, on pourrait y traduire les grandes puissances, et de manière générale les pays du Nord, et les accuser de profiter de notre faiblesse pour user du même subterfuge pour nous contraindre, nous pays  du Sud, et tout particulièrement les pays africains, à mettre en place des réformes, à voter des lois, à engager des actions qui ne sont pas conformes à notre culture, qui ne respectent pas nos intérêts, ou qui ne constituent pas pour nous une priorité. Notre « vulnérabilité apparente », connue de nos partenaires, c’est notre pauvreté, le fait que nous sommes redevables de leur aide, que, souvent, notre sécurité même  dépend de leurs armées.

C’était, hier, abus de faiblesse que de profiter des dissensions internes du continent africain et de la balkanisation de sa diplomatie pour envoyer des forces européennes en Libye  alors que l’Union Africaine s’était prononcée pour une solution négociée. Ce ne sont pourtant pas des troupes du Nigéria ou d’Afrique su Sud qui ont pacifié la Bosnie, et depuis le président Monroe le nouveau monde est interdit aux troupes extra-américaines.

C’est abus de faiblesse, aujourd’hui, que de profiter de la déliquescence du Mali pour exiger de son gouvernement qu’il organise des élections à une date que sa CENI, la seule institution qualifiée pour en fixer le calendrier, juge irréaliste. C’était déjà le cas, il y a quelques années, lorsqu’un autre gouvernement français avait sommé Laurent Gbagbo de tenir des élections sans se préoccuper des autres exigences d’une consultation démocratique.

C’est abus de faiblesse encore que de profiter du complexe culturel et éthique qui nous rend si envieux du monde occidental pour poser comme conditions pour la conclusion d’accords de partenariat que les pays africains appliquent chez eux des lois qui ne rencontrent pas l’adhésion de leurs populations, blessent quelquefois leurs sentiments religieux ou moraux, sous le seul prétexte que ces lois sont, sous d’autres cieux, considérées comme les seuls symboles de l’émancipation et du progrès. C’est le cas, aujourd’hui, des lois sur les tolérances sexuelles, ce sera, peut-être, demain, le cas sur le suicide assisté autorisé déjà dans certains pays européens. Le journaliste qui a posé au président sénégalais la question sur la dépénalisation de l’homosexualité osera-t-il demander au roi d’Arabie pourquoi les Saoudiennes ne peuvent ni voter ni même conduire une voiture, osera-t-il interpeller publiquement le président chinois et exiger qu’il arrête les exécutions massives ?

Le procès de l’ancien président tchadien que la « communauté internationale » (qui se résume à une dizaine de pays !) impose au Sénégal, et en partie aux frais de notre budget, est aussi un signe de cet abus de faiblesse dont sont victimes les pays africains. Hissène Habré a-t-il tué des Tchadiens innocents ? Oui très certainement, même s’il appartient à la Justice de tenter d’en déterminer le nombre exact. Il a tué, comme ont tué tous ceux qui ont accédé au pouvoir par les armes et s’y sont maintenus par les armes. Le débat n’est pas à ce niveau. Ce qui est en cause, c’est l’acharnement dont ont fait preuve certains pays du Nord et certaines de leurs organisations, après dix ans de silence, pour le traduire en justice. Ce qui est insupportable, c’est la pression qu’ils ont exercée sur le Sénégal pour que leur soit livré l’ancien président tchadien et qu’ils le jugent suivant leurs normes, ou, à défaut, pour le traduire devant la justice, au Sénégal, mais selon leurs conditions, alors même que les Sénégalais avaient fini par oublier sa présence sur leur sol, tant elle était restée discrète. La Belgique, qui n’a pas encore jugé les assassins de Lumumba, s’est ainsi montrée particulièrement zélée, offrant les services de sa justice universelle, à ceci près qu’elle épargne les Etats-Unis et Israël. Enfin, au sein de Human Rights Watch, on avait comme l’impression qu’on y était prêt à passer l’éponge sur les dérives des capitaines Dadis Camara ou Sanogo et que M. Reed Brody était commis à temps plein sur une seule cible…

S’il faut juger tous les anciens présidents africains coupables de crimes ou de tortures, alors les Euro-américains devraient aussi exfiltrer des pays du Golfe où ils se la coulent douce, les anciens présidents Ben Ali et Maouiya Ould Sid Ahmed Taya, ou de son asile du Zimbabwe, l’ancien dictateur  Mengistu Haïlé Mariam (s’il est encore en vie !) que l’intraitable Mugabe  tient sous sa protection ! Le premier, tout comme Habré, n’a pas quitté son pays les mains vides, le second avait tenté un nettoyage ethnique qui a privé la Mauritanie de plusieurs de ses cadres négro-africains, et quant au troisième, connu sous le nom du « Négus Rouge », il a déjà été condamné, in absentia, pour génocide, par la justice de son pays et serait responsable de 2 millions de morts. Il est vrai que ces  bourreaux n’ont sacrifié que leurs compatriotes alors que Habré a commis la suprême faute de tuer un officier européen !

Pourquoi d’ailleurs ne s’en tenir qu’à l’Afrique et, en ne visant que les chefs d’Etat qui ne sont plus en fonctions, pourquoi ne pas demander, par exemple, à l’ancien président W. Bush de s’expliquer, entre autres crimes, sur les  tortures pratiquées sous ses ordres à Abu Graïa ou à Guantanamo et qu’il a reconnues ? Puis, ce sera au tour de son complice des mauvais coups, l’ancien Premier Ministre britannique Tony Blair, qui a menti à son pays. Pourraient suivre l’émir démissionnaire du Qatar, financier des terroristes, et tous les anciens Premiers Ministres vivants d’Israël. Les cours pénales de chefs d’Etats ont de beaux jours devant elles !

Enfin peut-on juger Hissène Habré avec pour procureur et bailleur de fonds Idriss Deby qui fut le commandant en chef de son armée, son conseiller à la Présidence chargé de la défense et de la sécurité  et le commissaire chargé des mêmes responsabilités au sein de son parti ? Même si l’on est à une autre échelle de crime, c’est comme si l’on jugeait Hitler avec  Goebbels ou Himmler dans le rôle de l’avocat général !

Le Sénégal va donc organiser un procès aux ordres, exigé, circonscrit, réglementé, financé par des gouvernements extérieurs. Il s’est vu imposer un tribunal ad hoc qui n’existe nulle part au monde, juteux pour ses personnels, ruineux pour notre pays et qui sanctionnera sans doute Habré et ses éventuels complices (dont peut-être des Sénégalais !), sans offrir une compensation matérielle aux survivants des exactions. Il nous reste, pour sauver l’honneur, de faire en sorte que le déroulement du procès n’obéisse pas aux intérêts de l’étranger et que son verdict ne soit pas forcément celui qu’il en attend. N’ajoutons pas au dépit de n’avoir tenu ce tribunal que contraints et forcés, l’impardonnable faute de rendre, à la face du monde, une justice embedded, bancale ou peu respectueuse de la dignité humaine, y compris celle de l’accusé.


Il n’y a pas, dit un de nos proverbes, à rougir du fait que l’on vous sert un repas dans la gamelle d’un chien, le déshonneur c’est d’accepter d’y manger ! 

OBAMA ET NOUS


NB Texte publie en juin 2013 (in "Sud Quotidien")

Faut-il s’en glorifier ou se désoler que le président de la première puissance économique du monde (pour quelques années encore!) ait choisi notre pays pour sa première vraie tournée sur le continent africain ? Le Sénégal est en effet le seul pays africain francophone inscrit sur ce court périple et, depuis cinq ans l’un des trois du continent, après le Ghana et avec la Tanzanie – (car l’Afrique du Sud  est hors concours : on la visite pour elle-même et pour …Mandela !) – à « mériter » de recevoir un chef d’Etat qui avait fait de ses origines africaines un des atouts de sa première campagne électorale. La visite d’un président des Etats-Unis est un événement qui se prépare à l’avance et l’on peut être sûr que depuis des semaines, des mois peut-être, les services de sécurité américains sont, d’une manière ou d’une autre, présents sur notre territoire, pour sonder notre sol, humer notre air, s’assurer qu’ils sont compatibles avec notre illustre visiteur. On peut aussi être sûr, comme ce fut le cas avec G.W. Bush, que cette visite nous privera, pour un temps, d’une partie de notre souveraineté et de nos libertés, et que pendant quelques heures Gorée sera sous administration américaine.

Le jeu en vaut-il la chandelle ? La visite d’Obama sera-t-elle chèrement payée ?

Observons d’abord que la presse occidentale qui avait traité l’Afrique de « nouvelle colonie de la Chine » lorsque le président nouvellement élu de ce pays lui avait rendu visite, n’utilisera pas les mêmes termes pour décrire la tournée du président américain. Pourtant Obama aussi justifie son déplacement par le souci, notamment, de « renforcer les investissements et le commerce » avec le continent noir. Mais pour les médias du Nord, c’est évident : si  la Chine vient en Afrique pour des intérêts bassement mercantiles, l’Europe et les Etats-Unis s’y rendent pour propager des valeurs et sauver des vies !

Mais ceci est un autre débat…

Comme nous aurions aimé accueillir le président Barak Obama dans la chaleur d’une fraternité retrouvée, sans réserves, avec enthousiasme et espoir, comme on accueille un enfant prodigue qui revient auréolé de gloire au pays de ses aïeux ! En 2008, pour la première fois dans l’histoire du monde, l’élection d’un seul Chef d’Etat, la sienne, avait pris la tournure d’un enjeu universel. Les Américains oseront-ils ? se demandait-on partout dans le monde. Plus exactement pourront-ils ? Pourront-ils solder un contentieux vieux de plusieurs siècles et porter à la tête de leur pays le représentant de cette minorité noire à laquelle la majorité d’entre eux refusait les droits les plus élémentaires, il y a seulement cinquante ans ?

Quelques repères, à titre d’exemples, pour montrer d’où ils viennent.

En 1955, l’africaine américaine Rosa Parks avait été arrêtée parce qu’elle, la négresse, avait osé refuser de céder sa place, dans un bus, à un blanc. C’était au temps de la discrimination raciale, qui était de règle dans les transports publics, les jardins, les hôtels  et restaurants, etc.

En 1962, il avait fallu solliciter l’armée et la police pour faire admettre un étudiant noir, James Meredith, au sein de l’université, jusque là ségrégationniste, du Mississipi. Malgré son courage et sa détermination Meredith n’avait pas pu tenir longtemps face à l’hostilité générale et avait été contraint de poursuivre ses études à l’université d’Ibadan, au Nigéria.

En 1965, l’exaspération était devenue si forte qu’elle s’était muée en révolte et avait mis en feu un faubourg de Los Angeles, Watts, et fait 34 morts et un millier de maisons et d’édifices  saccagés ou incendiés.

En 1968, le pasteur Martin Luther King, Prix Nobel de la Paix, avait été assassiné à Memphis, alors qu’il combattait, sans violence, pour les droits civiques fondamentaux. Un crime raciste parmi d’autres…

Le défi d’Obama a un nom : « Yes we can ! »

Les Américains ont donc osé, et c’est un événement remarquable, même si Obama n’est pas tout à fait ce qu’on en a dit ou voulu en faire. D’abord il est, pourrait-on dire, aussi blanc que noir, même si, aux Etats-Unis, la notion de mulâtre n’existe pas et que la moindre goutte de sang noir fait de vous un Noir. Ensuite, même s’il est noir, Obama n’est pas descendant d’esclave, son père est un Africain d’Afrique, un intellectuel, et il ne porte pas le spleen de ceux dont les ancêtres ont vécu et souffert dans les champs de coton et les maisons patriciennes. Il a d’ailleurs grandi au milieu de sa famille blanche, connait à peine ses racines africaines et sa jeunesse ressemble plus à celle d’un enfant de la classe moyenne qu’à celle des enfants des ghettos noirs…

Il reste néanmoins que l’élection d’un « noir » à la tête de la première puissance du monde a constitué un grand et symbolique moment, une révolution culturelle, le triomphe de la démocratie et de la tolérance. Sa prestation de serment a ému toute l’Afrique et fait naître chez nous des sentiments de fierté et d’espoir… Cinq ans plus tard, avons-nous des raisons de penser qu’Obama est, non pas un bon président pour les Américains, mais un président américain plus porté que ses prédécesseurs à prêter une oreille attentive à nos problèmes, à sentir plus profondément notre besoin à être mieux considérés, mieux compris ? Le bilan est loin d’être satisfaisant et force est de reconnaître qu’Obama n’a pas répondu aux multiples attentes qui pesaient sur sa tête : celles des Africains, celles de ses compatriotes noirs, celles des défenseurs des droits de l’homme.

S’il n’a pas renié ses racines africaines, il n’a guère cherché à les mettre en valeur. De même qu’il n’avait mis en exergue son prénom musulman d’Hussein que par nécessité, au moment de sa prestation de serment, de même plutôt que de fouler la terre natale de son père et de risquer quelques mots en swahili, il a préféré célébrer ses miraculeuses et opportunes origines irlandaises en allant boire une pinte de Guinness avec ses parents celtes, dans l’obscur village de Moneygall. On ne l’a pas entendu défendre les positions de l’Union Africaine, notamment lorsqu’elle a condamné le recours à la force en Libye, contre l’avis de la France. On ne l’a pas entendu non plus prendre en charge l’idée d’un Plan Marshall au profit du continent noir et ses promesses au sein du G8 restent pour la plupart des vœux pieux. C’est le Japon, et non les Etats-Unis, qui a pris l’engagement de consacrer à l’Afrique l’équivalent de 16.000 milliards CFA au cours des prochaines années, dont 500 milliards destinés à un plan de stabilisation du Sahel. C’est la Chine qui a construit le nouveau siège de l’Union Africaine à Addis-Abeba, c’est le Brésil qui a pris en charge l’élaboration du dernier tome de l’Histoire de l’Afrique, etc. C’est peut-être symbolique, mais c’est avec des symboles que l’on construit les fraternités.

Obama a vite compris que les voix des Noirs américains ne suffisaient pas pour gagner une élection présidentielle et, contrairement à Lula, il ne s’est pas beaucoup investi pour réduire le nombre de pauvres aux Etats-Unis (et les pauvres ce sont d’abord les Noirs). Certes il n’a pas chez lui les pouvoirs  d’un président africain, mais il faut reconnaître que son plan de réforme de la protection sociale, qui était un de ses grands engagements, est un plan à minima qui soulage mais ne guérit pas.

Il avait promis de fermer Guantanamo dès son premier mandat. Il a entamé son dernier mandat et le bagne continue d’abriter des prisonniers politiques, détenus en dehors de tout cadre légal, national ou international. Près de 800 prisonniers y sont passés, 4 seulement ont été reconnus coupables, il en reste plus de 160 qui n’ont jamais été ni jugés ni inculpés et contre lesquels aucune  charge n’a été formellement retenue. Leur condition de détention s’est considérablement dégradée sous Obama, la moitié d’entre eux est en grève de la faim depuis des mois, nourrie de force par sonde gastrique, en toute illégalité et en toute cruauté.

Les services de sécurité américains n’hésitent pas, même sous Obama, à violer la souveraineté d’un pays africain, par exemple en kidnappant un officier supérieur bissau-guinéen pour le juger aux Etats-Unis, alors qu’aucun tribunal du monde n’est autorisé à traduire en justice un citoyen  américain, fût-il coupable de crime. Comme au temps de Bush Junior, les drones américains, avec aux commandes la CIA et non pas l’armée, tuent de par le monde, de l’Afghanistan au Yémen, des centaines d’innocents, y compris des femmes et des enfants !

Barak Obama n’a pas pu éviter les errements de W. Bush. Son gouvernement a laissé prospérer ce qui apparaît désormais comme une affaire de cyber-surveillance jamais vue dans un Etat démocratique. Les écoutes  (téléphone, mail, vidéo, etc.) mises en place par l’Agence Nationale de Sécurité des Etats-Unis, qu’il justifie en invoquant la lutte contre le terrorisme, portent plus atteinte aux libertés des pays du Sud et des pays musulmans qu’à celles des citoyens américains qui, eux, sont protégés par le 4eme amendement.

Obama avait nommé un envoyé spécial au Proche Orient dès sa prise de pouvoir et tout le monde pensait, en se fondant sur ses origines, qu’il allait combattre l’injustice et secourir le plus faible. Au contraire, Israël n’a jamais été aussi arrogant, jamais il n’a autant défié, bafoué, un président américain et Obama a couvert toutes les outrances du gouvernement d’extrême droite israélien. Non seulement le dialogue israélo-palestinien est interrompu mais, en poursuivant la construction de nouvelles colonies, à grande échelle, au nez et à la barbe des Etats-Unis, le Premier Ministre Netanyahou a remis en cause la clé de voûte de toute négociation de paix…

En juillet 2008, Obama, qui n’était encore que simple candidat à l’élection présidentielle, avait été acclamé à Berlin par 200.000 fanatiques, malgré les réticences du gouvernement local. Il y a quelques jours, ils n’étaient que quelques milliers de Berlinois à l’accueillir sur la mythique porte de Brandebourg, avec l’appui des moyens et en présence des autorités allemandes. C’est le signe qu’il n’est plus qu’un président ordinaire des Etats-Unis d’Amérique, un parmi d’autres !


C’est ce président là que nous recevrons ce 26 juin. Faisons preuve de courtoisie et de respect pour le peuple américain. Mais réservons notre cœur pour d’autres occasions…

DR HOLLANDE À BAMAKO, MR FRANÇOIS À PÉKIN !

NB Texte publié en mai 2013 (in "Sud Quotidien")


Le bâton en Afrique

« Je serai intraitable sur la date des élections au Mali !». C’est le message, la semonce que le président de la République française avait adressés, sans ménagement, aux autorités de Bamako. Il est vrai qu’il les avait sauvées de la débâcle et que sans doute cela lui donnait des droits. Qu’importe donc que les organisateurs potentiels de ces élections, la CENI et même la Délégation qui en sont les maîtres d’œuvre, estiment pour leur part que le pari ne peut être tenu, que ni les moyens matériels ni les compétences qu’exigent l’exercice ne sont encore opérationnels !

Qu’importe que la partie « libérée » du Mali demeure sous la menace d’actions isolées des rebelles. Qu’importe que le pays ne soit guère unifié, que Kidal soit interdite aux forces du gouvernement de transition et qu’aucun officiel malien n’y ait mis les pieds depuis plus d’un an ! Qu’importe enfin que des centaines de milliers de Maliens soient hors de leur lieu de résidence, réfugiés, exilés, en situation de détresse et de précarité !

Dr Hollande balaie toutes ces arguties d’un revers de main : il veut des élections dans moins de trois mois et son ministre de la défense l'a encore récemment confirmé à Bamako même. Il n’a du reste fait que reprendre les propos de son prédécesseur à l’Elysée qui avait tenu le même langage  aux Ivoiriens en leur demandant de faire l’impasse sur le  rétablissement de la sécurité ou sur la sécurisation du fichier électoral. Mais, cette fois, François Hollande fait plus que d'exiger la légitimation du pouvoir en places, il somme les Maliens de rechercher et de punir les militaires responsables d'exactions à l'endroit des populations civils, il détermine quels partenaires devront être associés  au dialogue pour la réconciliation. Les autorités et l'opinion ont beau disqualifier le MNLA, lui a choisi de  faire une place à ce mouvement dans les négociations et s'interpose entre lui et l'armée nationale. Enfin il a suscité et défini la MINUSMA, au grand dépit de l'Union Africaine !

La carotte à Pékin

A Pékin, Mr François se garde bien de donner des ordres ou de distribuer des ordonnances. Il se garde donc de déplorer les incidents survenus en Chine, un ou deux jours avant son arrivée, et au cours desquels des Ouighours ont été tués suite à des affrontements avec la minorité Han. La Chine est, à elle seule, responsable de 40% du déficit commercial de la France, et si Mr François parle de démocratie à ses dirigeants, c’est occasionnellement et surtout « avec respect » et à l’abri de la presse. Il vante donc Deng Xia Ping, qui a dit-il sorti la Chine de la léthargie, mais il  ne souffle mot du bourreau de Tien An Men. Il n'a même pas osé citer en public le nom du dissident Liu Xiaobo, Prix Nobel de la paix, condamné à 11 ans de réclusion. Il n’est pas venu à Pékin avec huit de ses ministres et des dizaines de chefs d’entreprises françaises pour débattre du sort des prisonniers politiques chinois, il est venu pour arracher des contrats, importer du travail pour ses entreprises dont beaucoup sont en déconfiture. Il est venu pour tenter de faire ce qu’a si bien réussi l’Allemagne : transformer le presque milliard et demi de Chinois en partenaires commerciaux et en clients pour son industrie. Le seul vrai objet  de son voyage en Chine est le rééquilibrage  des échanges entre les deux pays.

Entre valeurs et réalités: le double langage

A Bamako François Hollande est dans les valeurs et les remontrances, à Pékin il est dans la réalité et les compromis. C'est un double langage qui est propre à tout le monde occidental. A Pékin le président français a dit, en substance, que le développement de l'Europe ne peut se faire sans la Chine et vice versa, que chacune des deux parties a besoin de l'autre. Pourtant quand le nouveau président chinois a commencé son mandat par  une tournée en Afrique, la presse française a ironisé et traité notre continent de « nouvelle colonie chinoise ».

Des «  sinologues » africains ont embouché les mêmes trompettes et jugé qu'à priori les intentions de la Chine étaient forcément suspectes. La Chine investirait donc chez nous sans s'inquiéter du respect des droits de l'homme par nos dirigeants ? Pourtant les pays européens, et la France en particulier, acceptent chez eux les investissements de pays qui ne les respectent pas non plus. Le Qatar, qui n'est pas un modèle de démocratie, ne possède pas que le PSG, qui n'est que sa danseuse de luxe, il est présent dans la première entreprise française – Total – et dans d'autres de moindre envergure. Le Louvre et la Sorbonne ont délocalisé dans le Golfe, et ce n'est point pour y saluer l'avènement de la liberté et de l'égalité. La Chine est déjà propriétaire dans ce qui est le must du patrimoine français : les vignobles et les châteaux. A  Pékin Hollande a dit et répété qu'il était demandeur d'investissements chinois, dans des secteurs stratégiques, sans poser de conditions.

Alors tant que les Occidentaux ne nous démontreront pas la différence entre accueillir de l'argent dont la provenance heurte leur conscience, comme ils le font, et en recevoir, comme nous le faisons, sans exiger l'établissement préalable de la démocratie, nous devrons poursuivre la coopération avec la nation qui sera, dans moins de dix ans, la première puissance économique du monde.


Avec indépendance et lucidité.