Je suis historien et géographe de formation. J'ai été enseignant-formateur à l’Ecole Normale Supérieure (ENS) de Dakar, puis en charge de différentes structures et directions administratives. A la retraite depuis plusieurs années, je profite de ma liberté recouvrée pour assouvir une vieille passion : écrire. Ces dernières années, j’ai publié deux romans («Mon villages au temps des blancs » en 2000 et «La Raparille» en 2010) ainsi que trois essais (« A mes chers parents gaulois » en 2007 ; "Wade Mecum ou le wadisme en 15 mots" en 2010; "Le temps des choses jamais vues : chronique des années Wade-Sarkozy", 2013). Je publie régulièrement des chroniques dans divers journaux sénégalais (en particulier « Nouvel Horizon » et "Sud Quotidien").

lundi 14 juillet 2008

ABDOULAYE WADE : 8 ANS D'EXERCICE DU POUVOIR, DEUX ANNEES PASSEES A VOYAGER A L'ETRANGER

Le gaspillage est, peut-être, pire que la corruption, en ce sens qu’il est totalement improductif et, un jour, trop tard sans doute, les Sénégalais réaliseront que le règne de Wade aura été surtout celui de la dilapidation, de « l’emploi abusif et désordonné » des ressources de l’Etat. Libéralités excessives et ciblées, « enveloppes » (néologisme entré dans le vocabulaire sénégalais sous Wade), « paass » et « suuker » distribués à profusion, train de vie dispendieux, pléthore de services et de conseillers etc. La pratique quotidienne du gaspillage est devenue la marque de fabrique du Wadisme et explique d’étranges retournements et des silences incompréhensibles…
Mais il y a aussi les voyages du président hors du territoire national, ces expéditions impériales itinérantes à la Kankan Moussa dans lesquelles Wade entraîne, à intervalles réguliers, une cohorte de flatteurs et de groupies, des politiciens dévoués et des journalistes embedded, des marabouts très attachés aux plaisirs de ce monde, des griots de naissance ou de vocation, des conseillers en tous genres et bien d’autres encore… Cet aréopage hétéroclite remplit les jumbo-jets loués à prix d’or et les palaces somptueux et brûle dans les magasins de luxe et les boutiques sous douane les per diem généreusement distribués par Buur Saalum. La dernière illustration de ces excès est ce caravansérail installé dans la résidence de l’ambassadeur du Sénégal à Paris, à l’occasion de la promotion du dernier livre commis par le président de la république et consacré à sa seule gloire.
En huit ans d’exercice – souvent solitaire – du pouvoir, Wade a passé plus de … deux ans à voyager. Cela parait effrayant, mais c’est ainsi : depuis 2000, le Président de la république a passé, en moyenne, plus du quart de son temps a se déplacer hors du Sénégal, loin de son palais, loin surtout des préoccupations des Sénégalais qui l’avaient élu. C’est à ce rythme qu’il s’est soumis, malgré le poids des ans, et sans tenir compte des déboires de l’économie nationale. C’est à cette contrainte qu’il a soumis le budget de l’Etat, car ces pérégrinations sont coûteuses, ruineuses même quelquefois, généralement représentatives ou protocolaires, voire de prestige, donc sans grand intérêt économique ou diplomatique.
C’est ainsi que, pour l’année écoulée, 2007, le président Wade a passé prés de 90 jours à voyager, effectuant 20 déplacements dans 25 pays, sur 4 continents. Ses destinations, pour ne pas dire ses cibles, ont été la France, ce qui n’est pas très original (5 visites), la Suisse, ce qui est assez imprévu, car ce pays n’est pas à proprement parler un champion de l’aide au développement, et, enfin, bien sûr, l’Arabie Saoudite, car que serait le Wadisme sans les Arabes ?
Cette boulimie du voyage n’est pas nouvelle, elle date des premiers jours de l’ère Wade et s’est maintenue au fil des ans. En 2004, par exemple, le Président de la république avait effectué 30 voyages à l’étranger et passé 122 jours hors du Sénégal, ce qui est, peut-être, son record, et le record mondial pour un chef d’Etat actif. En 2005 il avait maintenu sa performance, visité 16 pays du monde, séjourné 12 fois en France compte non tenu des inévitables escales techniques à Paris... Comme on peut le constater, ce n’est pas la préparation du sommet de l’OCI qui justifie les déplacements de 2007 : voyager, pour Wade, fait partie de l’exercice du pouvoir. D’ailleurs, pour bien montrer qu’il n’est pas prêt à rester confiné dans son pays, Wade, après avoir fait le tour du monde, a effectué, au cours du premier trimestre 2008, des déplacements dans 11 pays et passé 27 jours hors du Sénégal, soit un mois sur trois, retrouvant ainsi son record de 2004…
Au total donc, en huit ans, Wade a séjourné dans près de 60 capitales du monde, et dans plus de la moitié des pays africains. Ces visites n’ont été que très rarement des visites officielles ou d’Etat. Le président se déplace plus souvent pour assister à des cérémonies protocolaires, pour prendre part à des rencontres internationales dont l’intérêt n’est pas toujours évident, quelquefois pour des missions dont les buts restent inavoués, généralement auprès de souverains connus pour leur générosité. Mais la principale motivation de ces voyages, c’est d’abord le culte de la gloire ou la recherche d’une aura internationale. Il y a, enfin, les déplacements que l’on pourrait considérer comme d’ordre privé, tels les « Umra », et qui se transforment en pèlerinages collectifs, fastueux et médiatisés, ce qui est a l’opposé de l’esprit même de l’Islam. Malheureusement pour nous, les tournées présidentielles les plus superfétatoires sont aussi les plus coûteuses, les plus dommageables au budget de l’Etat. Pour recevoir l’hommage d’institutions souvent inconnues, pour solliciter une reconnaissance internationale, pour faire ses dévotions, le Président de la république amène avec lui sa claque, pour être sûr d’être applaudi. Ce fut le cas lors d’un mémorable happening aux États–Unis, il y a quelques années, ou plus récemment à l’occasion d’une séance de dédicaces curieusement délocalisée à Paris…
On peut, évidemment, admirer la forme physique d’un chef d’Etat octogénaire qui, en 2003, avait effectué, en l’espace de 24h, un déplacement, par air et route, Dakar-Londres–Oxford–Londres-Dakar. Mais il faut, surtout, déplorer que, hors campagne électorale, le Président de la république ne trouve guère plus le temps de visiter le Sénégal des profondeurs, à l’exception des visites « religieuses » à Tivaouane et surtout à Touba, et qu’au péril de notre économie, il consacre autant d’argent à une passion si vaine, au détriment des réformes pour lesquelles le Sénégal l’avait élu.

vendredi 11 juillet 2008

LA FRANCAFRIQUE EST MORTE ! VIVE LA FRANCAFRIQUE !

A Cotonou, le 19 mai 2006, Nicolas Sarkozy avait pris l’engagement de « parler de tout (avec les Africains), y compris de ce qui est sensible » et, surtout de « parler franchement comme on ne le fait pas souvent entre Français et Africains ». Il avait proclamé qu’il allait « refuser le poids des habitudes » et faire « évoluer au-delà des mots » les rapports franco-africains. Il allait « construire une relation nouvelle, assainie, décomplexée, débarrassée des scories du passé et des obsolescences qui perdurent de part et d’autre ». Bref il annonçait de véritables « changements de fond » qu’il égrenait sans se faire prier.

D’abord, « débarrasser (la relation franco-africaine) des réseaux d’un autre temps, des émissaires officieux qui n’ont d’autre mandat que celui qu’ils s’inventent ». Il faut, ajoutait Sarkozy, « tourner (définitivement) la page des complaisances, des secrets et des ambiguïtés ».

Autre changement promis à Cotonou : ne plus se « contenter de la seule personnalisation des relations » franco-africaines et revenir au principe selon lequel « les rapports entre des États modernes ne doivent pas dépendre de la qualité des relations personnelles entre les chefs d’états (…), mais du respect des engagements pris » et des intérêts des parties.

Pour sa part, affirmait avec force N. Sarkozy, la France refusera toujours de « transiger sur ses valeurs (que sont) la démocratie, le respect des droits de l’homme et de la bonne gouvernance ». Elle ne se taira jamais devant les « dérives autoritaires ou les comportements arbitraires ».

Pour tout dire, enfin, N. Sarkozy proclamait sa ferme volonté de « débarrasser
[1] la relation France-Afrique de ses fantasmes et des mythes qui la polluent ». Il n’hésitait pas à prendre à parti les Etats qui « disent pis que pendre la France, (et), en coulisses, (sollicitent) une aide budgétaire supplémentaire », ainsi que les chefs d’Etat qui ont « besoin d’un bouc émissaire pour cacher leur propre incurie ».

Déjà à Bamako, le 18 mai, et dans le même élan, il avait promis de ne jamais accepter que « l’aide française puisse devenir une prime à la mauvaise gouvernance et aux mauvais prédateurs ».

Voilà donc les promesses de campagne de N. Sarkozy. Car en 2006, malgré ses prétentions et son ton de donneur de leçons, il n’était encore que le ministre de l’Intérieur de J. Chirac, un candidat probable mais trop pressé aux élections présidentielles. Les promesses, devait-il penser, n’engagent que ceux qui les prennent pour argent comptant… Parmi ceux-ci, il y a eu Jean Marie Bockel, transhumant du PS, auquel Sarkozy avait confié, peut-être sans trop réfléchir, la tutelle de la coopération, et donc la gestion de la Françafrique. M. Bockel, qui piaffait d’impatience et désespérait d’être ministre un jour, a voulu faire du zèle. Il a annoncé la mort prochaine et inéluctable de la Françafrique. Il a morigéné les chefs d’Etats producteurs de pétrole et autres richesses minières, qui encombrent les escaliers de l’Élysée et tendent leurs sébiles, à l’image des affamés du Sahel… La brèche étant ainsi ouverte, les médias, y compris les médias d’Etat, ont éventé les fortunes personnelles de ces Crésus noirs et exposé à la télé leurs châteaux, leurs hôtels particuliers, leurs limousines longtemps cachés à l’opinion française… Alors Monsieur Bongo s’est fâché, et quand Monsieur Bongo se fâche il le fait savoir à sa manière. Il a menacé, son parlement s’est ému, la rue a commencé à gronder à Libreville. M. Bongo c’est, comme qui dirait, la statue du Commandeur de la Françafrique, il y est le plus ancien dans le grade le plus élevé. Cela fait plus de quarante ans qu’il est au pouvoir et Sarkozy est le sixième président français qu’il fréquente. Il a appris, il a aussi rendu service, car si la France subventionne toujours le Gabon, M. Bongo, lui, subventionne d’illustres Français. Il représente pourtant tout ce que pourfendait le candidat Sarkozy, la pièce maîtresse des réseaux franco-africains, un président autocrate, arbitraire, prédateur, ce n’est pas un adepte de la bonne gouvernance et des droits de l’Homme… On le sait en France, on l’a toujours su, mais on le ménage : il est « un ami de la France » ! On a les amis que l’on mérite… Jean Marie Bockel aurait dû savoir tout cela, savoir que le président Bongo mérite des égards. C’est le seul chef d’Etat africain que N. Sarkozy a appelé dès son élection, oubliant déjà ses rodomontades, et ce n’était sans doute pas pour l’engueuler. C’est, enfin, le premier chef d’état africain au sud du Sahara (après l’inévitable escale sénégalaise) auquel le président français a rendu visite, quelques semaines après sa prise de fonction…

Quand M. Bongo se fâche, il règle les comptes. N. Sarkozy a donc dû limoger J.M. Bockel et lui faire avaler son engagement à tuer l’increvable Françafrique. En 1981, Jean Pierre Cot, au même poste, avait été saisi par la même tentation, mais il avait préféré démissionner et quitter la scène politique quand il s’était senti désavoué. M. Bockel a attendu, lui, qu’on le renvoie et son successeur n’a pas tardé à proclamer qu’il s’agissait bien d’une rupture et qu’il ne fallait pas compter sur lui pour rallumer la guerre.

Mais il ne suffisait pas de recadrer J.M. Bockel. Le président français a dû aller à Canossa, envoyer à Libreville le nouveau ministre de la Coopération, dont c’était la première sortie, en le faisant chaperonner par l’homme le plus influent de sa maison, le Secrétaire Général de l’Élysée. On en revient bien à l’ère des « émissaires spéciaux » et à la « personnalisation » des relations franco-africaines. À Libreville, avant d’accueillir le ministre de la France, Bongo avait reçu, en aparté, l’émissaire de Sarkozy, le porteur des secrets et des codes. Devant ses hôtes, comme à son habitude, Bongo ne mâche pas ses mots : ce qui se passe entre les « Grands » échappe aux « petits », les ministres, fussent-ils français, ne boxent pas dans la même catégorie que lui et il ne supportera aucune impertinence…

Voilà donc la Françafrique restaurée dans toute sa splendeur et il y a bien loin de la coupe aux lèvres. Pour sa tournée de propagande, le candidat Sarkozy avait choisi le Mali et le Bénin, emblèmes de la nouvelle démocratie africaine, mais une fois élu, il préférera, sagement, se rendre au Sénégal et au Gabon, qui représentent plutôt les « scories du passé ». Non seulement ses ministres ne sont plus autorisés à parler de « ce qui est sensible », mais ils devront accepter « les complaisances, les secrets et les ambiguïtés ». A Tunis, Rama Yade s’est délestée de ses responsabilités de Secrétaire d’Etat aux droits de l’Homme et Sarkozy peut proclamer que « l’espace des libertés progresse » dans un pays où les journalistes, les avocats, les opposants sont réduits à l’exil. M. Bongo pourra donc construire sa basilique à 70 milliards F CFA sans soulever l’ire de l’un de ses bailleurs, l’Agence Française de Développement, et au mépris des urgences de son peuple, tout comme naguère, Houphouët-Boigny avait bâti la sienne à Yamoussoukro. M. Biya peut triturer sa constitution à son aise, comme l’avaient fait avant lui MM. Eyadema et Deby. De même qu’elle avait aidé Hissène Habré à écarter Goukouni Oueddei, avant de le faire destituer au profit de Deby, de même la France de Sarkozy vient de sauver le régime à bout de souffle du même Deby contre les coups de boutoir conjugués de l’opposition armée et de militaires issus de la garde présidentielle. C’est une « ingérence à l’ancienne », comme l’écrit un journaliste, et qui démontre que la France demeure le gendarme et le mentor des pays africains francophones.

Enfin, on ne peut pas manquer d’observer que le retour de la Françafrique, c’est aussi le retour du mépris et de la condescendance. En mai 2006, à Cotonou, Sarkozy avait salué « l’Afrique ancrée dans le XXIe siècle » ; en Juillet 2007, à Dakar, il avait insulté les Africains qui, selon lui, « n’étaient assez entrés dans l’Histoire ». A Capetown, quelques mois plus tard, il annonce son intention de remettre en cause les accords de défense qui lient la France et ses anciennes colonies. Cela concerne précisément Dakar et Libreville où il n’en a pas soufflé mot et les Sud-Africains n’y comprennent rien. Mais qu’importe ! Pretoria est une puissance qu’il faut ménager, un marché attractif. C’est aux partenaires, et non aux obligés, qu’on s’entretient des choses sérieuses !

Fadel Dia
[1] Décidément !